[CR] Lady Rossa : l'embrasement

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Macbesse
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[CR] Lady Rossa : l'embrasement

Message par Macbesse »

J'ai fait une partie de Lady Rossa le week-end dernier. J'étais invité par Laurent Gärtner à causer jdr et politique dans une librairie associative militante de Charleville-Meyzières, "Chez Josette". Table-ronde avec Laurent, modérée par son fils le vendredi soir, et mise en pratique le lendemain. On attaque donc Lady Rossa, avec trois joueurs, rôlistes depuis un à deux ans. Deux avaient assisté à la table-ronde où LR avait été présentée et savaient où ils mettaient les pieds. 😄

Et il le fallait bien ! Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Lady Rossa, on y joue une colonne des brigades rouges, qu'on saisit de sa création, au moment où elle passe de l'action militante traditionnelle à l'action directe et clandestine, à la fin, quand elle commet des attentats, séquestre des patrons et hommes politiques. Sans trop entrer dans le détail, Lady Rossa est un jeu tout entier construit sur des mécaniques d'escalade, qui incitent à aller toujours plus loin et à se détacher de ce qui retient à la vie civile.

Revenons à mes joueurs. J'ai deux joueuses, dont une mineure qui doit avoir 14 ans. Sa mère a assisté à la présentation, elle est d'accord et me fait confiance, mais je mets ceinture et bretelles sur la sécurité émotionnelle. Mon joueur a un passé d'ouvrier, une ressource, mais aussi un peu de pression. On distribue les rôles : sans surprise, la joueuse adulte prend Siria, la planificatrice, la plus radicalisée d'emblée (grosse inspi Mara Cagol). La jeune joueuse prend Angela, et je respire un peu car c'est le perso le plus peaceful de la bande, celui qui généralement lâche l'affaire assez vite. Et le joueur ouvrier voit la fiche de Giuseppe et s'exclame "oh putain ça c'est moi", ajoutant "la sécurité au travail, les histoires de bras arrachés par des machines, crois moi, je connais". Prometteur ! Restent en PNJ Alberto, le branleur un peu truand qui peut servir de pousse-au-crime ou au contraire d'élément tempérant, et Ernesto, le militant qui veut rejouer la résistance. Les cinq pré-tirés de 2de génération ne sont pas encore là. Je les ferai éventuellement rejoindre la colonne si on joue plusieurs épisodes.

Après un bref conciliabule, le petit groupe décide de lancer une action sur l'usine Pirelli. Après tout, c'est là que Giuseppe travaillait. Il vient d'en être licencié parce qu'il a cassé la machine qui avait arraché le bras d'un apprenti. Siria a un plan. Elle veut opérer une convergence des luttes et intéresser les chômeurs à une action sur l'usine. Angela et Siria se rendent donc dans les cités-dortoirs de la banlieue de Milan et commencent à préparer un premier meeting. Angela trouve l'action trop lente et appelle ses camarades de la Lotta Continua pour lancer un sit-in devant l'usine. Siria débarque dans la cabine pour raccrocher, mais un instant trop tard. Pendant ce temps, Giuseppe pénètre sans difficultés dans l'usine Pirelli et apprend qu'une action est déjà en train de se monter et qu'un camarade de l'équipe d'entretien (ceux qui réparent les machines), Marco, a demandé sa réintégration, sans succès. Il va le trouver, obtient des noms de camarades sensibles à l'idée d'une grève générale, d'autres à convaincre. Marco lui demande : "on débraye ?". Giuseppe acquiesce... et entend une porte se fermer derrière eux.

Pendant que Giuseppe va d'atelier en atelier pour lancer le débrayage en douceur, Angela et Siria ont une discussion animée sur la discipline collective et débarquent le plus vite possible à l'usine, où un petit groupe de militants de Lotta Continua salue Angela et commence à lever des pancartes. Les slogans sont rapidement adaptés. Pendant ce temps, Giuseppe est averti que Marco a été convoqué par la RH. Il fonce au bureau du directeur, devant lequel deux policiers montent la garde. Il est néanmoins reçu. Le directeur de la RH est un homme arrogant et méprisant, et toute ressemblance avec un directeur de la RH existant ou ayant existé serait purement fortuite et indépendante de la volonté du joueur qui l'a décrit. Le dialogue s'engage mal. Alors même que l'usine n'est pas encore à l'arrêt, le directeur l'accuse d'avoir lancé une action illégale dans l'usine et d'être responsable du licenciement de Marco en l'ayant rendu complice. Giuseppe se défend d'avoir lancé une action et le directeur ouvre la fenêtre, lui montrant les militants de la Lotta Continua scandant des slogans. Giuseppe n'a effectivement rien à avoir avec eux. Il s'engage à les convaincre de partir en échange du maintien au travail de Marco. Sitôt sorti du bureau, il lève le poing en criant "Débrayage !". Alors, les machines s'arrêtent et l'usine se fait peu à peu silencieuse [j'avais demandé de fixer la diff en fonction de l'ampleur, le joueur avait pris le max et fait 5 succès].

Dehors, Angela et Siria se demandent ce qu'il se passe. Un des militants de Lotta Continua propose un bélier. Ils en ont qu'ils utilisent pour forcer les portes lors des actions de réduction, c'est-à-dire d'occupation et de répartition d'un logement. Le défonçage de la porte prend du temps et fait du bruit, alertant la sécurité [diff 3, échec]. Siria et Angela passent, mais la police est désormais avertie. Au bout d'un quart d'heure, elle débarque et charge les militants, qui sont soit arrêtés, soit se réfugient, blessés, parfois gravement, dans l'enceinte de l'usine.
Giuseppe retourne à la RH pour essayer de négocier leur départ contre une levée du siège, mais ne rencontre que de l'hostilité et les volets de fer se ferment. Alors, il demande qu'on lui amène le contremaître en charge des machines du secteur où l'apprenti a été blessé, barre de fer à la main. Il lui explique longuement qu'il n'a pas veillé à la sécurité des ouvriers et qu'il va donc, comme eux, perdre l'usage de sa main. Le contremaître essaye d'abord la pitié, parle de ses enfants, sans succès, et trouve une oreille plus attentive quand il montre qu'il peut être utile en relançant la négociation avec la RH et en s'engageant à veiller à la sécurité. Giuseppe accepte le deal. Le contremaître regarde fixement sa main.

Angela est très en colère, tellement en colère qu'elle est prête à abandonner l'action non violente [elle raye sa Clé de la militante opéraïste, en prend une autre, celle du Nihilisme], et propose de mettre le feu à l'usine. Giuseppe lui explique que cela reviendrait à priver les ouvriers de leur travail. L'outil de production doit leur appartenir, pas être détruit. Alberto suggère un compromis. Angela pourrait s'en prendre aux voitures des cadres, qui ne manqueront à personne et qui restent symboliques, non ? Tout le monde acquiesce, et Siria et Angela partent chercher de l'essence et des chalumeaux. Dans le parking, Angela préfère brûler toutes les voitures d'un coup plutôt qu'une à une, pour donner une portée plus grande à l'action, au détriment de la sécurité. Elle paye aussitôt le prix [annoncé, j'avais demandé une diff 3 pour que personne ne soit mis en danger] : des cris retentissent depuis une voiture. Siria tente d'extraire le malheureux mais le nuage de feu l'en empêche. [Angela ayant engagé la réserve collective et la réserve personnelle, elle est "Traumatisée" et la colonne est "Isolée"]. Devant l'horreur, Angela s'enferme dans le déni.

La vision du parking en flammes, paradoxalement, facilite la négociation avec la RH [diff 3, réussi]. Le directeur a désormais très peur et l'offre généreuse de sortie contre l'engagement écrit de ne pas licencier Marco et ne pas engager de représailles envers les ouvriers ayant participé à la grève, dans ce contexte soudain très violent, lui semble un horizon très désirable. Giuseppe est surtout intéressé à faire sortir les deux policiers, dont la présence pourrait faire encore escalader le conflit. Il tente donc de retenir le directeur et de l'entraîner vers un atelier, mais sans succès. Devant la sortie, ils croisent Angela et Siria. Angela saisit l'opportunité pour demander, en échange, la libération de ses camarades et la sortie des blessés. Contre toute attente [diff 5, réussi], elle l'obtient. Pendant ce temps, Siria emmène la colonne à l'abri, loin de l'usine [diff 2, torché].

Angela est donc la seule membre de la colonne restée dans l'usine quand commence la charge. Les lacrymos volent, la barricade cède, puis les coups pleuvent. Elle perd connaissance et se réveille dans un hôpital pénitentiaire. Sur ce, la joueuse active son Secret "Fille de Bourges", et un homme d'une élégance discrète, très poli, lui rend visite pour un entretien informel. Durant cet entretien, elle confirme l'identité réelle de Giuseppe, mais ne donne pas celle de Siria. Elle assume la responsabilité de l'incendie et donc celui de la mort du cadre qui faisait sa sieste, ce qui surprend son interlocuteur, qui n'insiste pas. Il prend congé, ajoutant qu'il va, comme convenu avec ses parents, prendre contact avec le Ministre de l'Intérieur pour que soit fait le nécessaire. Angela est libérée dans l'après-midi et transférée dans un hôpital civil.

La mère d'Angela lui rend visite. Hors-jeu, la mère de la joueuse arrive, ce qui m'a fait hésiter un instant sur la scène, mais un instant seulement.
Elle lui demande ce qui s'est passé. Angela commence par se défausser sur ses camarades, ce qui met sa mère dans une colère noire. Alors, sa mère la met devant ses responsabilités. Elle ajoute : "Ce dimanche, je vais me rendre au baptême du petit Emilio, tu sais, le fils de ta cousine qui venait jouer avec toi quand tu étais petite. Mais il n'y a pas eu de baptême car il n'y avait plus de parrain." La joueuse ne tilte pas tout de suite, demande pourquoi. La mère insiste, demande de bien réfléchir. Et Angela de répondre "Oh non... il est mort dans un incendie, c'est ça ?". "Non, il n'est pas mort dans un incendie, il est mort dans l'incendie que tu as allumé, cela n'a rien à voir." Angela ne dit rien et reste prostrée.

Un petit coup d’œil m'apprend que j'ai l'approbation maternelle IRL pour cet apprentissage en jeu de la responsabilité et des conséquences des actes... ouf. On voit une dernière fois la colonne délibérer. Les journaux bourgeois les incriminent, le portrait de Giuseppe s'étale, obscène, en une des journaux. Ils ont le sentiment d'avoir été donnés. Ernesto prend la parole. Il est très mécontent de la manière dont a été menée l'action, tant de son escalade, de sa violence inutile que de l'individualisme qui a procédé. Il veut bien s'en prendre aux cadres, contremaitres et directeurs RH, mais il faut les juger collectivement. Ils ont droit à un procès populaire. Pas de se faire écraser la main ou de mourir dans le feu. Giuseppe tempère. Personne n'a eu la main écrasée. Néanmoins, il reconnaît qu'à l'avenir, une procédure collective devra être menée. Enfin, Siria propose de mener la prochaine action contre... l'usine des parents d'Angela.
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