Et pour lancer l'affaire : quelques réflexions qui ont alimenté
une certaine conférence et qui permet justifier, si besoin était (puisqu'on est ici dans la médiathèque c'est pour parler du pas jeu de rôle, non ?), la présence de ce fil sur ce forum.
Le rapport entre les livres-jeux et les jeux de rôle
Les livres-jeux sont des jeux de rôle
C'est du moins ce que dit ma fille.
« — Papa, on peut refaire le jeu de rôle dans la tour ?
—
La Citadelle du chaos ? C'est un livre-jeu, pas un jeu de rôle.
— Bin si, c'est un jeu de rôle parce qu'on joue un rôle. »
Vous ne voudriez quand même pas chagriner une charmante princesse de six ans, non ?
Les livres-jeux ne sont pas des jeux de rôle
Évidemment.
Il n'y a pas d'interaction sociale et la lectrice-joueuse ne crée pas à proprement parler de la fiction, même si elle remplit les lacunes du texte et se met en position d'auteure secondaire (
Jessica Hammer dirait auteure tertiaire, mais là ou peut en général fusionner les auteures primaire et secondaire).
Les livres-jeux dérivent des jeux de rôle
Du moins ceux que l'on connaît.
Pour les
Quêtes sans fin de Donjons et Dragons, c'est assez évident.
Pour l'école anglaise (Steve Jackson et Ian Livingstone, Joe Dever, Dave Morris…) c'est également documenté. Et sans être méchant, je ne suis pas sûr que les belliludistes de l'époque connussent les auteurs argentins (
Borges 1944,
Cortázar 1963) ou français (
Queneau 1961,
1967) qui ont créé des œuvres combinatoires.
Reste le cas des
Adventure of you qui deviendront les
Choose your own adventure : le premier,
Sugarcane Island, date de 1969 donc est plus ancien que
Chainmail. Le nom de la collection, CYOA, désigne de manière générique les livre-jeux
(gamebooks) en anglais, mais pour moi ce ne sont pas vraiment des livres-jeux : en raison de leur structure divergente, il n'y a pas vraiment de but à atteindre, juste des histoires alternatives à essayer (c'est donc plus une collection de nouvelles qu'un jeu). Mais je dois avouer que c'est une faiblesse de ma démonstration, il va falloir que je creuse.
Pour moi, le premier vrai livre-jeu c'est le scénario solo
Buffalo Castle de Rick Loomis pour
Tunnels & Trolls (1976).
Les livres-jeux ont des points communs avec les jeux de rôle
Outre la culture de base, puisque les collections les plus connues ont été écrites par des rôlistes, un certain nombre de points rapprochent les jeux de rôle et les livres-jeux.
- On peut faire un parralèle entre le contrat social et le contrat de lecture, c'est-à-dire la promesse faite par l'auteur et l'éditeur via la couverture (titre, illustration, nom de collection, 4e de couverture), le péritexte.
- On peut faire un parallèle entre les attentes créatives (creative agenda) et les attentes « littéro-ludiques » des lectrices-joueuses :
- Relever des défis.
- Faire des choix impliquant un positionnement moral.
- Le droit de rêver, s'immerger dans un monde fictionnel (une diégèse dirait Olivier Caïra).
- Le brainstorming de Romaric Briand pourrait décrire ce qui se passe dans la tête de la lectrice-joueuse au moment du choix, la manière dont elle comble les lacunes du texte (mais bien sûr on ne peut pas parler de contenu fictionnel malléable).
- La lectrice-joueuse interagit avec le monde fictionnel via un personnage-joueur, ce que Greg Costikyan appelle un « marqueur ».
- Il existe des scénarios solo pour jeu de rôle — c'était assez courant dans les années 1980, mais seul Ulisses Spiele continue à en sortir pour L'Œil noir.
- Un certain nombre de jeux de rôle utilisent des scénarios solo pour introduire des concepts de jeu. Voire pour la création de perso — on m'a soufflé dans l'oreillette le Starter Set des D&D Essentials (4E), mais je verrai bien aussi la manière dont on détermine l'expérience préliminaire dans Empire Galactique voire dans SimulacreS 7E (on fait des choix que l'on peut, si l'on veut, voir comme des morceaux de narration abstraits et succincts, du squelette à habiller de chair quoi).
