L’Ennui des Mort-Vivants
C’est un matin comme les autres à Gloupignac, ville connue pour sa fête annuelle, où se mélangent nains, gnomes, elfes et hobbits, le tout arrosé d’alcool de gloushki. Ca expliquerait les traits parfois semi-humains des habitants, dit-on.
Mata Merah, la vendeuse de tarte à l’aubergine, arrache une affiche et la montre à Norbert, l’expert en décompte de bière, lequel vient de se faire couper les cheveux chez Patrick, le coiffeur.
Norbert seul sait lire (et compter) : “C’est une proposition de mission pour trois audacieux individus, faite par Malthus le fromager.” Il recompte le groupe : un, deux, trois, ils sont bien trois, voilà déjà un critère rempli.
Tous les trois rêvent de devenir des aventuriers, des rêves amplifiés par les récits du manchot de Gloupignac, qui affirme avec une rare éloquence avoir occis un dragon dans sa jeunesse.
Malthus le fromager les accueille chaleureusement : “J’ai besoin de trois audacieux pour récupérer des dettes auprès de Tarnaak le Ténébreux : il s’est fait livrer mon fameux fromage de gloupignole mais n’a pas payé. Mon âne vous accompagnera, pour porter vos affaires et faire de la pub, grâce à ses panneaux publicitaires sur ses flancs.”
On discutaille longtemps le pourquoi du comment, et les émoluments, lesquels se voient doubler suite à un regard de Mata Merah dont les yeux rouges filent la trouille. C’est qui le boss ?
Dans les échoppes, nos héros sélectionnent leur équipement : jupe de combat, lance à boule kaléidoscopique, poivrier géant rose fuschia, grappin, recueil de calembours, ciseaux géants, casque de conquistador, maillot de bain blindé, armure à clochettes et franges…
Une petite dame fort bien vêtue les aborde : “L’Impératrice se refuse à l’Empereur, et l’acceptera dans sa couche s’il libère les gobelins réduits en esclavage par les paysans. Je fais partie de la Société de Protection des Minorités Goblinoides, la SPMG. Voici un capteur d’image magique. Ramenez moi des preuves que les gobelins sont maltraités afin de convaincre l’Empereur d’intervenir et garantir ainsi à l’Empire un héritier.”
Les aventuriers acceptent quoique l’un d’eux se souvient qu’un bâtard de l’Empereur serait en fuite quelque part. C’est ce qui se dit à la laverie et au salon de coiffure, les lieux où circulent les potins.
Sur la route menant à l’antre de Taarnak, ils croisent un paysan et son gobelin enchaîné. Lorsque le paysan voit l’écusson de la SPMG, il crache en direction de nos héros et les abreuve d’insultes. Mais bien vite, le malentendu est oublié : on fait des photos ensemble, après avoir bastonné le gobelin, histoire d’avoir un rendu plus authentique…
Contre une poignée de fromage de gloupignole, le paysan leur laisse le gobelin, cabossé mais obséquieux, car reconnaissant d’être enfin libre.
Nos héros passent la nuit dans une grange, où des jeunes paysans organisent une fête, tandis que Norbert chante et Patrick joue de son bâton à boule kaléidoscopique pour mettre une ambiance son et lumière de folie. Au petit matin, ils émergent avec une enclume entre les oreilles et réalisent que les paysans ont piqué leur fromage de gloupignoule.
Peu importe, l’aventure continue. Nos huissiers en herbe trottinent vers la destination du débiteur, Taarnak.
Bientôt les voici devant l’antre de Taarnak, un gros rocher posé sur la plaine, nimbé de brumes méphitiques. Une porte massive interdit l’entrée.
On décide opportunément de toquer. Une voix répond et enjoint d’entrer. Au centre d’une pièce circulaire, une tête plantée sur un bâton se lance dans un monologue divertissant et assure être le guide et majordome de ce lieu.
Mata Marah, l’héroïne cornue aux yeux rouges, l’experte en tarte à l’aubergine, fourre la tête décapitée dans son sac et on se promène dans l’antre. On débouche sur une quincaillerie à l’abandon où s’entassent des squelettes en cours de réparation, dans un fatras de clous, marteaux et pinces. Et, attaché au mur, un aristocrate affamé interpelle nos héros, assurant être Baudouin III, le bâtard de l’Empereur.
"Détachez-moi, je vous prie, et vous serez récompensé. Pourquoi suis- je là ? J’ai fui l’Empire pour me réfugier dans ces contrées mais les paysans ont décidé de m’enfourcher, perspective peu réjouissante. Taarnak m’a accueilli dans son antre, puis fait prisonnier car il a bon espoir de faire de moi un meneur de zombies admirable, afin de mener à bien son projet…J’ai en effet le leadership d’un aristocrate...”
On le laisse en plan, histoire de pousser l’exploration. Dans une vaste salle, des zombies en cage jouent au chifoumi, aux échecs, font du yoga, le poirier ou encore pédalent sur des bicyclettes immobiles et sans roues, souffrant de ce qu’il est convenu d’appeler : l’ennui des mort-vivants.
Ils supplient d’être libérés mais sont copieusement ignorés par nos aventuriers, en quête d’or et très soucieux de mener à bien leur mission. Malheureusement, le maître des lieux, Taarnak le Ténébreux est mort d’un arrêt cardiaque tandis qu’il compulsait un ouvrage de qualité où des enluminures représentent des elfettes dévêtues.
Mata Merah s’empare de la tête-majordome, le coiffe du casque de conquistador, l’attache à son grappin et envoie le tout dans la petite pièce adjacente, comme éclaireur.
La tête y rencontre un gnome, Gleurk, assis sur un tas de fromage de gloupignole, les restes du stock. Il est affamé et coopère : si les aventuriers l’acceptent parmi eux, il leur montre le trésor et retournera à Gloupignac avec eux.
Le trésor : des dizaines de trébuchantes pièces d’or dont certaines sont aussi sonnantes. Et une couronne magique de roi de gobelin qui confère à son porteur une apparence de gobelin et le respect immédiat accompagné de génuflexions des gobelins de tous poils.
On jette un œil distrait sur les plans de fabrication de Zombicyclettes, une révolution énergétique à venir. Trop farfelue pour être honnête.
On abandonne les zombies à leur sort. Puis Patrick décide de libérer l’aristocrate Baudouin et s’empare des ciseaux géants pour couper ses liens. Hélas ! Mille fois hélas ! Le manque de pratique sans doute : il ampute l’aristocrate d’un bras, lequel va rebondir dans un coin de la pièce.
Patrick s’excuse, l’aristocrate accepte à condition qu’on ne l’abandonne pas. Soit, qu’il se joigne. Concernant l’antre, on y met le feu : trop de choses maléfiques gigotent dans les ténèbres de ce lieu maudit.
L’arrivée en ville est triomphale. Malthus le fromager paie la somme promise et embauche Baudouin l’Aristocrate comme compteur de fromage, car les cinq doigts de sa main permettront de lancer des ventes en gros.
On remet à la petite dame de la Société Protectrice des Minorités Gobelinoïdes les preuves de la maltraitance des gobelins, et la couronne de Roi. La tête majordome, qu’on s’apprêtait à utiliser comme vendeur à la criée, se propose de porter la couronne et ainsi devenir Roi des Gobelins. Dans l’enthousiasme général, la proposition est acceptée. Oui, il faut un roi aux gobelins, alors pourquoi pas lui ? Il a du charme et du bagou !
Nos héros font alliance avec Gleurk le gnome : il est jutier depuis des générations. Grâce à ses talents, on va monter un commerce de tartes à l’aubergine mais aussi de jus d’aubergine.
Aussi après une aventure éprouvante, nos héros décident de mener une vie rangée de commerçant et producteur de produits à base d’aubergine, et les gamins du village viennent se goinfrer chez eux, et surtout écouter les récits de leurs aventures trépidantes.