LE SILENCE
Denis Lehane
J’ai eu une mauvaise expérience avec Denis Lehane. L’aube d’un pays m’a laissé de marbre. Si la question historique (la naissance d’un syndicat policier, sa perception dans la hiérarchie et les difficultés rencontrées par la police de Boston à la sortie de la première guerre mondiale) était intéressante, ni les personnages, affreusement caricaturaux, ni l’histoire n’étaient intéressants. J’ai quand même voulu voir s’il s’agissait d’une mauvaise rencontre ou si Denis Lehane n’était pas un auteur pour moi. Gallemeister a beaucoup communiqué sur ce livre, proposant même d’en faire un livre pour la fête des mères. Alors, je me suis plongé dedans.
Marie Pat est issue de South Boston. Born & raised, comme on dit. Elle a eu deux enfants, Noel, l’ainé, qui a connu la guerre du Vietnam et la déchéance de l’héroïne, vendue par son meilleur ami, le dealer du coin, beau fils du caïd local, Marty l’Irlandais, et Jules, qui va bientôt fêter ses 18 ans. Nous sommes en 1974 et un juge vient d’ordonner la fin de la ségrégation raciale, en ordonnant le mélange des lycéens des quartiers noirs et irlandais. Un tirage au sort a eu lieu et la moitié des lycéens devra prendre le bus, quitter South Boston pour aller dans le quartier noir, tandis que des gens du quartier noir iront dans le lycée de South Boston. Sauf que la population de South Boston ne veut pas de ce busing, ce transfert de lycéen par bus qui menace leur milieu, leur façon d’être. Ici, tout le monde connait ses voisins, les enfants et les parents de ses voisins. On vient du même quartier, du même environnement et on a les mêmes valeurs. Comme celle de respecter et d’obéir à Marty, le chef de la pègre locale. Mais voilà que, à quelques jours de la rentrée des classes, Jules sort un soir et ne rentre pas. Pendant une nuit, un jour, puis deux puis trois… Le soir de la disparition de Jules, Auggie Williamson, le fils d’une collègue de travail de Mary Pat, Dreamy, est retrouvé mort. Accident ? Meurtre d’un jeune homme noir venu à South Brooklyn ? Etait-il un dealer ? Mary Pat se met alors à la recherche de sa fille, sa disparition semblant avoir un lien avec le meurtre d’Auggie. En tout cas, ces deux événements sont concomitants et une partie des acteurs sont les mêmes. A la méthode irlandaise de South Boston, Mary Pat va chercher à comprendre.
J’ai trouvé ce livre beaucoup moins naïf et artificiel que l’Aube d’un pays. Les personnages sont plus convaincants. Mary Pat, par exemple, est pleine de contradictions, mais de contradictions qui font sens. Les différents personnages s’expriment réellement selon leur nature et les causes de leur présence dans le livre et non pas par facilité. L’amitié entre noirs et irlandais n’est pas aussi facile et se heurte à la réalité des événements. Les choix de Mary Pat s’expliquent aussi parfaitement au vu de ce qu’elle est. Personne n’est totalement gentil, même le plus gentil des gentils, Bobby l’enquêteur, connait ses faiblesses, ses erreurs et ses doutes. Outre l’histoire, les personnages, Denis Lehane se permet aussi de prendre position sur des sujets qui ne sont pas simplement « c’est pas bien de pas aimer les noirs » et « les irlandais sont comme cela parce qu’ils n’ont pas eu le choix ». Le choix, tout le monde l’a dans le livre et tout le monde ne fait pas systématiquement le bon ou celui qu’il s’impose de par l’image que le personnage a de lui.
Un roman noir, difficile, qui parle de racisme, de mort, de la difficulté d’être parent, de l’angoisse que cela génère nécessairement, des limites de cette parentalité, de nos échecs, des héritages qu’on ne voulait pas mais qu’on a quand même, de peurs, de doutes, d’humanité. Un chouette livre, ni trop long, ni trop court et loin d’une espèce d’happy end artificielle. Cela m’avait poussé à croire que l’Aube d’un pays était un roman très ancien de Denis Lehane. Il ne date que de 2009, mais quel changement entre les deux. Le type de changement qui me donne envie d’aller voir si l’Aube d’un pays est un roman typique ou une simple erreur de parcours, un livre écrit pour Hollywood et non pour des lecteurs, contrairement au Silence.