Qu’il est beau mon Other Worlds !
Évacuons tout malentendu,
Other Worlds est un jeu de niche ou du moins réservé à une gamme particulière de joueurs et de maîtres de jeu. Il se classe dans la catégorie des systèmes de jeu type boîte à outils, renforçant la narration et l’interaction à l’aide de règles simples, intuitives et rapides. Il propose une mécanique sans univers, s'adressant aux créateurs ou
conversionnistes de tout poil.
Donc Other Worlds regarde du côté d’Heroquest et de Fate plutôt que de Gurps ou de D&D. Il privilégie la narration, l’action cinématique, l’imaginaire des joueurs et du MJ, l’interaction entre les joueurs et l’improvisation « organisée » (un concept avancé ... je sais).
Personnellement j'aime beaucoup Other Worlds. Je le maîtrise depuis plusieurs années, plutôt ponctuellement, sur du pulp/Horreur/Bob "Moranesque". Trois points forts à mon sens ressortent de ce système.
1) - LA CREATION DE PERSONNAGES JOUEUR, NON JOUEUR.
Other Worlds propose ainsi une création de personnage (PJ ou PnJ) innovante, simple et dont le résultat final est lisible et précis. Le principe de création s’appuie sur des « templates » - disons des « modèles » - au nombre de 3 plus 1 « template/modèle » destiné aux pouvoirs en tout genre.
Les trois premiers modèles segmentent la définition d’un personnage à partir des concepts de culture, profession et individualité. Chacun des modèles est construit à partir de 8 descriptions générales, 4 descriptions de personnalité, et 4 descriptions relationnelles.
Donc au total nous avons un personnage défini par 24 descriptions générales, 12 descriptions relationnelles et 12 descriptions de personnalités. A ce niveau de création aucun personnage ne peut se ressembler vraiment et surtout obtient une épaisseur inégalée. A cela vient s’ajouter pour les univers de jeu incluant des pouvoirs, un quatrième modèle dit « de signature » qui émule un objet, une magie, un pouvoir, une aide hors normes telle une armure de combat spéciale, un pouvoir psychique ou magique, un véhicule particulier, etc.
Parachevant le tout, des objectifs et des désavantages sont ajoutés au modèle « individualité ».
L’ensemble de la création est totalement narrative. Bien entendu nombre de modèles sont fournis comme source d’inspiration et gageons que d’autres verront le jour sur la toile.
En tous les cas, le découpage en trois ou quatre modèles thématiques permet de conduire le processus de création de manière très cohérente sans être enfermé dans un quelconque corset composé de classes de personnages. Le triptyque des étapes de création - Culture/Profession/Individualité - facilite grandement l’approche du personnage. L’organisation en 8 entrées générales, 4 entrées personnelles et 4 relationnelles cadre le processus tout en laissant une totale liberté à l’inventivité. A l’instar de Fate ou Heroquest, toutes ces descriptions sont autant de capacités se définissant à partir de phrases et de concepts et qui serviront à motoriser les actions durant le jeu.
Une fois les modèles renseignés - soit au début du jeu, soit complétés en cours de partie - des scores sont attribués à chaque capacités de chaque modèles en fonction du niveau de réalisme voulu ou de puissance de l’univers ou encore du pouvoir attendu. Ces niveaux vont de 10 à 50.
- > 10 = niveau du commun des mortels (équivalent nv 1 à 2 pour D&D)
> 20 = niveau réaliste (équivalent nv 3 à 5 pour D&D)
> 30 = niveau Action (équivalent nv 6 à 10 pour D&D)
> 40 = niveau Héroïque (équivalent nv 11 à 14 pour D&D)
> 50 = niveau Légendaire (équivalent nv 15 à 20 pour D&D)
une fois les niveaux attribués à toutes les capacités l’on doit répartir des niveaux de scores différents dans chacun des modèles. En résumé, chaque modèle possède une capacité à + 5 par rapport au niveau initial. Le modèle « individualité » possède également une capacité à +10 et une autre à -10, deux autres à + 5 et deux autres à -5. Cela permet donc de différencier les personnages et de leur conférer des spécialités par rapport au niveau de base de l’univers (10 à 50).
Il est possible de différencier bien entendu les niveaux de base. Ainsi prenons un univers classique et réaliste de base 20. Les modèles auront donc des capacités à 20 avant répartition des +5,+10,-5,-10 sur certaines capacités et modèles. En revanche le modèle « signature » représentant les aspects hors normes ou spéciaux du personnage, peut partir sur un niveau de base supérieur ou inférieur.
Prenons l’exemple d’une adaptation des armes dieux de Bloodlust. Ces dernières peuvent être mineures ou majeures. Dans un univers de fantasy sobre sans trop de monstres à chaque coin et dont les adversaires sont plus souvent humains (prendragon, conan etc ...) le niveau sera de 10 ou de 20. Mais le modèle « signatures » de l’arme-dieu sera plus élevé. Par exemple 30 pour les armes-dieux majeures ; les armes mineures resteront à 20 mais apporteront de toute façon des capacités supplémentaires.
Ce système s’adapte donc facilement à tous les univers.
J’aime particulièrement l’équilibre du processus de création. Un cadre simple mais organisé tout en étant couplé à une liberté totale. Le système offre par ailleurs moult conseils pour éviter les capacités à la description trop vague sans l’interdire car les modificateurs de difficulté tiennent compte de la précision de la description. Par exemple un joueur combattant avec une épée courte en utilisant sa capacité « arme de mêlée à 20 » sera logiquement frappé d’un -10 car sa description est très général. En revanche celui qui aura « Combat à l’épée » ne subira pas de malus ni bonus ; celui qui aura « Pratique de l’épée courte » recevra un +10 et celui qui aura « Expert avec une épée courte forgée en acier kirdurien » et possédant une telle épée recevra un +20.
Au delà de ce cadre un joueur sans grande imagination à la création de son personnage peut tout de même entrer en jeu sans avoir compléter la procédure de création et composer son rôle tout au long de la partie, notant au fil de l’eau, les capacités qu’il a souhaité donner à son personnage.
La force de ce type de système « light » est d’ouvrir les vannes de l’imagination tout en laissant le choix des sources de création : une image ou plusieurs pour conceptualiser son personnage (comme pour Everway par exemple), une table de création aléatoire, un échange narratif avec le MJ ou entre joueurs, une classe de personnage piochée dans un autre JdR, un archétype de film/série/BD/Roman, etc.
2) - LA GESTION DES CONFLITS
Autre force du système : la résolution des conflits. Un conflit étant entendu au sens le plus large possible selon l’idée force de l’opposition entre plusieurs concepts dont les objectifs divergent.
Dans une situation de conflit le PJ/PnJ choisi une capacité en correspondance avec la méthode de résolution du conflit. Le score de cette capacité sera ajouté à un jet de D100. Rien de nouveau, certes. La subtilité provient de la possibilité d’ajouter une seconde capacité pour moité de son score, une troisième et une quatrième pour 10% de leur score. Bien entendu ces capacités doivent intégrer de manière cohérente et réaliste le processus de conflit et en même temps permettre de définir la méthode de résolution, éventuellement les conséquences de réussite et d’échec et favoriser la cinématique de l’action. C’est une vraie bonne idée, particulièrement dynamique.
A tout cela s’ajoute des modificateurs très simples mais là encore assez malins (vu plus haut par exemple le malus de « -10 à -20 » si votre capacité a une description trop vague ne permettant pas d’affiner la logique narrative de l’action). Le jet d’un D100 se cumule alors aux modificateurs et l’on compare les deux sommes obtenus entre les protagonistes. Là encore on évite le calcul mental trop complexe car le premier niveau de réussite correspond à un différentiel de 1 à 9, le second de 10 à 99 et le troisième de 100 et plus. Ces écarts sont donc très aisés à calculer.
Le perdant subit donc une faiblesse/désavantage qui est notée immédiatement et dont le niveau est égal au niveau de score de base du vainqueur (score sans le jet du D100). Cette faiblesse entrera en jeu selon le contexte et appliquera son niveau en tant que malus. C’est là encore simple, élégant et plutôt parlant. Un succès critique induira pour le perdant en plus de ce malus une restriction totale sur une ou plusieurs capacités. Inversement au lieu de donner un désavantage au perdant, c’est le gagnant qui peut obtenir un avantage au travers d’une capacité nouvelle.
Sur un succès mineur les avantages/désavantages disparaissent rapidement (fin de la scène d’action, un bandage rapide, repos d’une heure, etc ...), sur un succès standard cela demandera une procédure particulière (soins élaborés ou magiques, heures ou jours, outillage ...) ou un temps plus long et sur un succès critique la capacité est permanente et ne pourra disparaître que selon des conditions très spécifiques.
Ce système laisse beaucoup de libertés au MJ, mais les conséquences de tout conflit sont de toutes manières décidées avant de jouer le dit conflit : pas de mal entendu donc quant au résultat. A noter qu’une variation permettant de morceler le conflit en sous-conflits jouant sur les rebondissements existe et fonctionne sans à-coup. Un autre point notable confortant le grand nombre de capacités définissant un personnage, veut que l’échec dans l’utilisation d’une capacité induise l’utilisation d’une autre capacité pour résoudre le conflit. C’est malin et oblige le joueur à se creuser les méninges. Ainsi passera-t-on d’un objectif de « blessure à l’épée » pour vaincre son adversaire à une tentative d’« assommer » ou « de fuite ». Les conflits s’enchaînant dans ce cas avec de nouvelles opportunités d’action, de réaction ou d’histoire.
Autre mécanique très intéressante : la possibilité de jouer globalement les conflits en un seul jet de dés après une description des actions et objectifs de la scène ou de découper la scène en plusieurs sous-conflits (un tour par tour finalement) notamment face au Boss principal nécessitant la construction d'un suspens impactant l'ensemble des joueurs. La possibilité donc d'accélérer ou de ralentir les moments de conflits.
Pour autant vous ne trouverez pas de listes d’armes et de dégâts chiffrés, ni d’armures et de niveaux de protection. Le MJ appréciera éventuellement un rapport de force déséquilibré en usant d’un modificateur. C’est certainement le point le plus déroutant et le plus compliqué à gérer au début avec des joueurs habitués à quantifier mathématiquement les effets.
Là encore, l’on peut très facilement utiliser des tables de localisation et de niveaux de dégât (comme celles de Rolemaster par exemple) pour organiser les résultats d’un combat physique et flatter les « grosbillisme » de certains. Gardez à l’esprit que le système étant très pur, il accepte pas mal de « plug-ins » permettant de se sentir plus à l’aise durant la prise de décisions.
3) - COUP DE PROJECTEUR.
Les points nommés « spotlight » présentent un concept commun à bien d’autres systèmes. Ces points permettent d’infléchir le destin des personnages ou du jeu. Leur utilisation est cependant assez amusante. Par exemple, on peut inverser la polarité du D100 ou bien ajouter des capacités supplémentaires à son score dans un conflit ou encore faire monter les enchères dans un conflit. Ils permettent également de modifier son personnage, de le faire progresser ou de le « réparer ». Nous sommes certes en terre connue mais cela fonctionne admirablement.
4) - DIVERS.
Parmi les autres qualités du système, il faut retenir le traitement des « compagnons/sidekick ». Leur création est à nouveau simple et rapide. On aimera ou l’on détestera l’idée que les armes et armures n’ont pas vraiment d’influence sinon pour déterminer le type de conflit, les conséquences attendues et le type de désavantages que cela entraînera. Les Pnjs de type « chair à canon » sont intégrés dans les règles de manière à concentrer et à fluidifier le combat. Des exemples de conceptions de PnJs tels que des villes, des organisations, des objets, des univers sont disséminés dans l’ouvrage et permettent de comprendre les infinies possibilités du moteur d’Other Worlds. On regrettera peut être l’absence d’un petit bestiaire afin de facilité la compréhension des niveaux de puissance, ou encore d’exemples plus nombreux concernant les pouvoirs. On notera enfin les points de « feedback » que les joueurs se donnent entre eux pour se féliciter et que l’on peut transformer en « spotlight ».
5) - OTHER WORLDS SE DOMPTE.
Oui ! Le système n’est pas facile à appréhender car très ouvert et laissant une grande latitude de description et de décision au MJ et aux joueurs. La mécanique est ultra simple et laisse une grande liberté pour définir les conséquences des actes de chacun. C’est bien là, un aspect qui rebutera les MJs et les joueurs préférant les systèmes mécaniques, très cadrés, documentés, quantifiés où les règles prévoient tous les cas en permettant d’appliquer des résultats chiffrés. Pour autant Other Worlds chiffre en permanence les conséquences mais ces dernières sont concertées et totalement renouvelables et originales. Si les joueurs se prêtent au jeu, la vie du jeu s’en trouve grandie et l’imaginaire magnifié.
6) - CONCLUSION.
Vous l’aurez compris, Other Worlds s’apparente à un coup de coeur, une bouffée d’air frais soufflée par un équilibre parfait entre simulation et narration. Objectivement, le système conserve encore quelques légères zones floues ou du moins qui mériteraient des précisions et exemples supplémentaires. Mais l’esprit est là. Other Worlds présente l’avantage d’un système polyvalent et adaptable très rapidement sans perdre un bon niveau de simulation. Bien maquetté, joliment illustré, ce système privilégiant la narration et les échanges interactifs n'a absolument pas connu de réel succès. Il mérite pourtant que l’on s’y attarde et très certainement une V2 gommant certains flous.