JOURS 25 à 28
Au petit matin, un élégant navire émerge du brouillard pour accoster au débarcadère, à l'extrémité du Pont inachevé. Ses lignes harmonieuses, sa proue en arc de cercle sculptée en forme de tête de cygne, et surtout les elfes à la pélerine gris argent qui en débarquent, ne laissent guère de doute sur l'origine du voilier : la Nariamórien. Brenhaven n'a pourtant guère l'habitude d'accueillir des navires elfes. Les
impitoyables oppresseurs libérateurs acclamés désirant se rendre de la Nariamórien à Brenhaven passent par la Sylve, ou empruntent la route quadrillée par les patrouilles d'Erisadán. Descendre la Waldine par bateau représente un détour considérable.
Sans attendre, une dame raffinée fait signe à son escouade : les soldats forment une haie serrée autour d'elle. Ils montent les escaliers menant à la ville, passent devant l'Auberge du Pont puis sous l'Arbre-Guet qui surveille l'entrée du Pont. Les vigies postées là n'en croit pas leurs yeux. Un faucon s’envole aussitôt pour prévenir l’abbaye. Peu après, une patrouille menée par Tharivel intercepte les nouveaux venus juste sous les fenêtres de l'Auberge de l’Épée, attirant l'attention des aubergistes. La dame montre un pendentif, le capitaine paraît surpris, une discussion s'engage, les aubergistes comprennent vite qu'ils vont avoir une nouvelle cliente, que cela ne plaît pas du tout à l'oncle de leur serveur, mais qu'il doit s'incliner devant une autorité supérieure à la sienne.
Bougnat, apporte-nous du vin ! Celui des noces et des festins !
La troupe d’une dizaine de soldats débarque ainsi sans prévenir et réquisitionne l’auberge. Les clients sont sommés de libérer les chambres sur l’heure. La taverne est vidée de ses occupants. La dame elfe ne manque pas d’exigences. Elle s’installe dans le dortoir à l’étage – la pièce la plus spacieuse – et fait aussitôt retirer les paillasses au profit de lits, armoires et tapis issus des chambres de luxe, impose un double nettoyage aux aubergistes, puis réclame des fleurs en pot. La chambre devra être prête pour le soir même. Ses gardes occuperont les chambres individuelles. Par ailleurs, elle exige que Tanorivel soit mis à son service pendant son séjour. Celui-ci constate que l'étrangère connaît son nom.
Le jeune demi-elfe devra venir recueillir les souhaits de son auguste cliente pour son repas du soir, le lui apporter dans sa chambre, répondre à ses questions sur la région et la divertir en chantant quelques chansons locales. Il convient de l’appeler « sa très gracieuse seigneurie ». Un éventuel paiement n'est même pas évoqué, à la grande joie de Sigmund : les clients trop riches et trop généreux leur ont toujours causé des problèmes, comme Rafael, Médéric, Hildibald...
Tanorivel ne rechigne pas à la tâche, au contraire. Le bougre a plusieurs raisons de faire du zèle : en apprendre davantage sur cette dame mystérieuse, bien sûr, mais aussi prouver à son oncle qu'il respecte les vertus de l'ordre de chevalerie de sa mère, notamment la discipline et le panache, afin d'obtenir sa confiance et une certaine épée. Et lui faire avouer qu'il est La Flèche, tant qu'à faire ! Bref, servir d'écuyer à une elfe de haute lignée lui paraît donc opportun. Il propose même de la suivre toute la journée, ce que la dame finit par accepter.
Pendant ce temps, Erisadán installe un cordon de sécurité autour de l'auberge. L'auguste cliente ne tarde pas à sortir pour inspecter la petite troupe. Elle refuse catégoriquement que deux arindeäls stationnent avec la dizaine de soldats. Le commandant doit ravaler sa colère et ordonne aux enchanteresses de retourner à l'abbaye.
Laisse-moi devenir... L'ombre de ton ombre...
Le lendemain, sa très gracieuse seigneurie rend visite aux enfants prodiges ramenés par les elfes il y a trois semaines : Éléonore d’Orville, Lotta et Eivor. Comme promis la veille, Tanorivel ne la quitte pas d'une semelle. Les elfes qui surveillent les enfants - avec plus ou moins de discrétion - font preuve d'une politesse exquise quand la dame se présente. En fait, ils frisent même l'obséquiosité... Le demi-elfe comprend vite qu'elle représente la reine des elfes. Tanorivel profite de l'occasion pour prendre les soldats de haut - juste retour des choses.
La dame a un entretien avec chaque enfant prodige, évoquant « le grand renouveau à venir ». Les enfants ont hâte de participer à cet « événement merveilleux » qui rendra le monde meilleur. Tanorivel doit cependant quitter sa seigneurie lorsque celle-ci ausculte les enfants. Le comportement des enfants l'inquiète, les précautions prises par la mystérieuse cliente ne font qu'accroître son trouble.
Le soir, sa très gracieuse seigneurie invite Tanorivel et Klaus à sa table. Elle pose de nombreuses questions, parfois très personnelles, et insiste particulièrement sur la mère du demi-elfe, Serindewen, et son oncle Tharivel. Tanorivel n'esquive pas les questions et pousse Klaus à parler de sa mère. Si la dame s'efforce de rester neutre, elle ne peut masquer son intérêt, le demi-elfe devine donc qu'elle était proche de Serindewen.
Le lendemain, Tanorivel visite Fort Greifstark avec sa très gracieuse seigneurie, ce qui lui permet de repérer les lieux et de snober ostensiblement Alasaril - ce qui n'a pas de prix !
Je vous ai apporté des bonbons...
Tanorivel a rappelé à ses amis l'embrigadement des enfants prodiges par les elfes, leurs paroles inquiétantes, leur importance aux yeux des elfes.
Sigmund décide de tenter une expérience : il raffine le sable rouge et en fait des berlingots, qu'il pourrait donner à un des enfants prodiges. Sa réaction devrait être instructive. Peut-être l'enfant se libérera-t-il de l'enchantement des elfes ? Ou développera-t-il de nouveaux pouvoirs, qui pourront donner un indice sur ce fichu renouveau tant attendu ?
Le lendemain, Sigmund élabore un plan pour faire consommer un bonbon à Lotta ou Eivor sans que l'on puisse remonter jusqu'à lui - un vague scrupule l'empêche de donner le berlingot à Éléonore, lors d'une des fréquentes visites de la fillette. L'impitoyable truand, qui rêve d'assassiner la moitié de la ville, ne peut réprimer un élan de compassion pour la famille Orville... Après tout, elle les a aidés à sauver Ermelinde et son enfant. D'un autre côté, le baron est solvable, ce qui reste bien sûr suspect !
Un elfe en livrée grise vient interrompre ses réflexions. Le hobbit sursaute. Sigmund est toujours nerveux quand un elfe l'accoste tandis qu'il prépare un mauvais coup. Certes, la présence de celui-ci ne devrait pas le surprendre. Sa très gracieuse seigneurie laisse toujours deux membres de son escorte à l'auberge pendant les tournées d'inspection, notamment pour s'assurer que l'établissement n'accueille aucun autre client. Klaus fait malgré tout travailler l’ensemble du personnel d’arrache-pied sur toutes les tâches de maintenance et de nettoyage sans cesse repoussées faute de temps. Le père de Tanorivel craint que l’auberge ne soit attaquée par les résistants pour frapper les elfes à la tête. Il fait remplir de nombreux seaux d’eau en prévision d’une tentative d’incendie... De son côté, Rikke, qui voit des gnomes partout, vérifie une nouvelle fois toutes les issues de l'établissement. Bref, l'atmosphère n'est pas à la fête !
Stressé, Sigmund s'efforce de sourire. Impassible, l'elfe lui apprend qu'un de ses fournisseurs demande à le voir. Le hobbit grince des dents, il espère que ce n'est pas le meunier... Mais non, il découvre un homme qu'il n'a jamais vu, qui veut lui parler d'affaires importantes. Décidément, les elfes ne sont pas meilleurs que les autres, n'importe qui peut entrer dans cette auberge ! Il ne manquerait plus que ce soit un client solvable !
Une fois loin des oreilles pointues, l'homme se présente comme l'un des agents du Roi Leudaste Ier d’Arlande. L'espion vient de débarquer à Brenhaven et se fait passer pour un marchand. Il est temps pour Sigmund, le héros de la résistance contre le Nécromant, d'aider à nouveau son pays. Il faut profiter de l'opportunité et frapper l'ennemi !
C'est-à-dire ? Tuer l'émissaire de la reine des elfes ! L'espion lui promet de lui faire fuir le pays et de le récompenser grassement une fois l'acte accompli.
Sigmund plisse les yeux. Il entend presque, à l'étage au-dessus, Rikke répéter...
C'est le gnome ! C'est le gnome !
Se pourrait-il que... La druidesse a raison !
Sans se départir de son calme, Sigmund fait mine d'accepter la demande. Il se souvient que, sous l'un de ses déguisements supposé, Tawyn / Hildibald est particulièrement friand de sa bière. Il propose donc à l'espion de trinquer à leur accord, sa toute dernière cuvée est d'ailleurs prête à être consommée, une bière épicée aux reflets irisés.
Vous m'en direz des nouvelles ! Sigmund verse à l'individu enthousiaste une chope pleine de somnifère pétillant. Il espère que, cette fois, il n'a pas confondu avec un excitant. L'homme s'effondre... et redevient un gnome !
Sigmund prévient aussitôt Rikke. Le brasseur et la druidesse ligotent Tawyn, puis le réveille pour l'interroger. Sans paniquer, le complice de Carmichaël renouvelle son offre. Après tout, ils luttent contre un ennemi commun, il est temps de laisser leurs anciennes querelles de côté... Il sous-estime cependant la rancune des aubergistes. Rikke prévient aussitôt les elfes qu'elle a découvert un complot ! Carmichaël, qui dissimule une armée au nez et à la barbe du prévôt, a planifié l'assassinat de l'émissaire de la reine et la prise de contrôle de la ville.
Rêver ! Un impossible rêve !
Tanorivel et sa très gracieuse seigneurie, qui retournaient tranquillement à l'auberge de l’Épée, voient soudain leur escorte décupler. La dame elfe doit insister pour retourner dans les quartiers qu'elle a choisis, plutôt que d'être escortée jusqu'au quartier général de l'armée elfe, à l'ancienne abbaye.
Sigmund a un petit pincement au cœur quand un Tawyn terrifié est remis aux elfes. Ensuite, les choses vont très vite. L'armée elfe se poste aux deux extrémités du passage sous le pont.
Tharivel, à la tête du guet, se rend à l'Auberge du Pont et arrête Carmichaël et ses complices. Erisadán, avec un escadron entier de soldats, prend d'assaut la bâtisse où Carmichaël avait caché sa petite armée, de l'autre côté de la Waldine. L'affrontement est violent, les pertes sont lourdes des deux côtés, mais le commandant elfe en ressort vainqueur. Et littéralement couvert de sang. Les quelques citadins qui ont observé les évènements depuis leurs fenêtres n'osent croiser son regard.
Le lendemain, les aubergistes apprennent que Carmichaël, Tawyn, Merlen et un certain Telgar - dont ils ignoraient tout - vont être enfaytés. Le niveau d'alerte mont d'un cran. La tournée d'inspection de l'émissaire prend un peu de retard - elle ne pourra visiter l'abbaye que le jour d'après.
Rikke est extatique ! Sigmund ne peut réprimer un frisson. La culpabilité ? L'horreur de l'enfaytement ? Le brasseur n'a guère le temps de se poser la question. Il doit continuer à gérer l'encombrante bande de voleurs que les aubergistes ont rassemblé au fil des jours. Tout le monde semble le prendre pour le nouveau patron de la pègre locale. Même les ifriers, apparemment, puisque le lendemain ceux-ci viennent, à leur tour, lui demander d'assassiner sa très gracieuse seigneurie ! Sigmund soupire. Il suffit donc de vouloir suriner tout ce qui passe pour subir une telle réputation ? Si encore il avait pu supprimer Canaan...
Le hobbit manie cependant mieux le pipeau que le poignard. D'un air navré, il explique à l'envoyé des ifriers qu'il aurait volontiers accédé à sa demande, tout-à-fait raisonnable, pertinente, opportune, tout ça tout ça... Hélas, hélas, depuis que le complot de Carmichaël a été éventé, les elfes ont triplé l'escorte de l'émissaire, les aubergistes ont tout le temps deux soldats sur leur dos, qui surveillent leur moindre fait et geste, aucun instrument plus dangereux qu'un couteau à beurre émoussé ne peut s'approcher de la dame elfe...
Non, vraiment, ça aurait été avec plaisir mais là, ça va pas être possible.
Parce que les fleurs sont périssables
Pour sa dernière inspection à l'abbaye, sa très gracieuse seigneurie prie son écuyer de rester à l'auberge. Les arindeäls ne le laisseraient pas visiter leur quartier général. Tanorivel hoche la tête. Leurs secrets seraient donc à ce point inavouables... Qu'à cela ne tienne ! Il organise une entrevue avec son oncle. Il doit beaucoup insister - le capitaine est très occupé, après la découverte du complot de Carmichaël - mais, après tout, les elfes ont une dette envers l'Auberge de l’Épée.
La ville est d'ailleurs, aujourd'hui, privée d'auberge : la leur est toujours privatisée par sa très gracieuse seigneurie et la concurrence a été fermée par les autorités. Sans l'ombre d'un scrupule, Rikke et Sigmund installent aux halles un bistrot éphémère, avec la bénédiction de Gretella, qui leur permet d'encaisser un juteux bénéfice.
Pendant ce temps, Tanorivel reçoit son oncle dans sa chambre, après avoir pris soin de calfeutrer sa fenêtre. Il lui raconte tout ce qu'il sait. Décidément, la mode est au grand déballage. Lui et ses amis ont résolu les deux plus grands mystères de Brenhaven. Quelle est la source de la magie qui imprègne le Valseptente, découverte au fin fond du Temple du Serpent. Et qui est la Flèche, assis juste en face de lui.
La première révélation fait mouche. Les ossements d'un grand dragon vert reposent donc à la source d'un affluent de la Waldine, inondant la région de sa puissance magique toujours vive. Mais son esprit rôde toujours, prêt à prendre sa revanche - en tant que dracoliche ?
La deuxième le laisse de marbre.
Tu fais erreur. Mon visage se cache bien sous le masque de La Flèche. Mais ce n'est pas moi. Tharivel retire le collier caché sous sa tunique. Il semble vieillir de plusieurs décennies en un instant. D'une voix lente, il apprend à son neveu les plus terribles secrets des elfes de la Nariamórien.
Au cœur de notre forêt féerique se dressaient les maudrials. L’aura magique de ces arbres-dieux titanesques a longtemps préservé la jeunesse de notre peuple. Mais il y a plusieurs siècles, ils ont commencé à péricliter, j'ignore pourquoi. Depuis une cinquantaine d’années, nous avons recommencé à vieillir. D’abord lentement, puis aussi vite que les humains après la mort du dernier maudrial, il y a vingt ans. Hélas, nous n'avons pas la fertilité du peuple de ton père ! Nous sommes donc menacés d’extinction.

Nous avons soigneusement caché notre mortalité retrouvée, pour ne pas montrer de signe de faiblesse que nos ennemis auraient pu exploiter. Nos druidesses, les arindeäls, ont enchanté des colliers de glamour permettant à chacun d'entre nous de conserver l'apparence de la jeunesse. Beaucoup ont trouvé dans ce mirage une échappatoire... D'autres ont cherché une solution. Nous devions sortir de notre forêt pour trouver une source de magie permettant de faire pousser de nouveaux maudrials.
Il y a sept ans, lors de la guerre contre le Nécromant, un incident permit à Aínulaurië, la doyenne des arindeäls, de deviner le potentiel magique de la terre de Brenhaven. Une arindeäl y avait apporté des graines de notre grande forêt. Au milieu de la ville, elles se mirent à pousser à une vitesse folle pour former un bosquet vivace, rendant plusieurs pâtés de maisons inhabitables. Ayant besoin d’énergie magique pour subsister, les arbres féeriques ont puisé dans leur environnement. En plus de l’énergie de la terre, ils absorbèrent partiellement... celles des habitants. Les plus sensibles perdirent progressivement l’usage de leur sorcelet. La croissance de ce que les hommes appelèrent bientôt la Sylve s'arrêta quand elle parvint à un équilibre entre ses besoins en magie et ce que la terre et ses habitants pouvaient fournir.
Le phénomène offrit à Aínulaurië l’espoir de faire croître sur cette terre de nouveaux maudrials, et par là même restaurer l’immortalité de notre peuple. Elle a étudié les propriétés du sol et de ses habitants. Ses tentatives de faire pousser d’autres sylves se heurtèrent toutefois au manque d’énergie magique, mobilisée presque entièrement par la première...
Je ne sais pas exactement comment Aínulaurië compte faire renaître les maudrials. Mais je suppose que l’enlèvement des enfants prodiges cache quelque sinistre dessein ! Même si cela ne me plaît pas, mes serments m'obligent à obéir aux ordres. J'ai cependant fait une exception... J'ai laissé La Flèche s’emparer de mon collier de glamour pour pouvoir se déguiser et agir impunément. Ainsi peut-il protéger les enfants prodiges là où je suis limité par mon alignement loyal-bon ma loyauté à ma Reine.
Pour atteindre... L'inaccessible étoile !
Je ne devrais pas te révéler tout ceci. Mais tu as peut-être découvert la source de magie qui sauvera le peuple de ta mère, sans condamner celui de ton père. Nous devons prévenir Maenerin, la reine de la Nariamórien. Peut-être hésites-tu à priver les habitants du Valseptente de leurs pouvoirs magiques ? Notre peuple a déjà tant pris aux habitants de Brenhaven... Je te laisse réfléchir à la question. Mais ne tarde pas trop. Le plan d'Aínulaurië, quel qu'il soit, arrive bientôt à son terme.
Sous le choc de ces révélations, Tanorivel décide de partager une partie de celles-ci avec ses amis. Il garde sous silence le sort funeste qui attend les elfes de la Nariamórien, à brève échéance.
Rikke, gardienne du dragon, ne voit aucune objection à transmettre son fardeau aux elfes, si ceux-ci acceptent de libérer la cité, de l'aider à relever le cercle de pierres… Et, tant qu'à faire, escortent les réfugiés qui souhaitent retourner en Norlande. Les monts de Heurtevent, qui séparent l'Arlande de la Norlande, sont infestés de griffons. Le col de Kraden, le passage le plus sûr, reste impraticable à une horde dépenaillée : entre le froid, les intempéries, les géants en maraude et les élémentaires de la terre hostiles - les fameux
Roule-Roche - bien peu de réfugiés arriveraient à franchir les montagnes.
La druidesse-aubergiste se prépare donc à négocier âprement « son » dragon. Elle imagine déjà les griffons, charmés par les elfes ou par elle-même, protéger les réfugiés lors de leur voyage puis transporter de nouveaux monolithes jusqu'à Brenhaven.
Où est Rosa ? Il va falloir signer un contrat !
Pendant que la femme du patron échafaude des plans, Sigmund s'inquiète. Il a tout de suite compris le prix à payer : les habitants du Valseptente vont définitivement perdre leurs sorcelets... Leur fierté nationale ! Rikke met la main sur l'épaule du hobbit, en signe de soutien.
Tu sais, on vit très bien sans sorcelet. Et il te reste le sable rouge...
Porter... Le chagrin des départs...
Sa très gracieuse seigneurie doit maintenant repartir. Elle demande à Tanorivel et Klaus de la raccompagner jusqu'à l'embarcadère, au bout du pont inachevé. Rikke et Sigmund s'incrustent. Au moment d'embarquer, elle laisse son escorte la précéder sur son navire et se retourne vers Tanorivel, pour lui parler. Elle lui révèle son nom, Oriëne, et la raison de son intérêt pour lui, qu'il avait déjà en partie deviné : c'était une amie de sa mère, Serindewen. Elle s'apprête à rajouter quelque chose... C'est le moment que choisissent les ifriers pour attaquer !
Un brouillard s'est levé entre le pont et la cité. Les vigies perchées dans l'Arbre Guet, près de l'entrée du pont, ne peuvent plus voir ce qui se passe sur le fleuve. La passerelle de bois que devait emprunter Oriëne pour rejoindre son navire se flétrit et se désagrège soudain. L'extrémité de l'embarcadère pourrit à son tour. La partie du tablier sur laquelle les soldats d'Alasaril formaient une haie d'honneur s'effondre. Les elfes tombent à l'eau ! Deux forestiers sortent du fleuve, un poignard entre les dents, et coupent les cordes reliant le navire à l'embarcadère. L'embarcation commence à dériver. Une dizaine de forestiers émergent à leur tour. En un instant, les aubergistes et l'émissaire se retrouvent encerclés ! Parmi les assaillants, deux hommes en cape noire attirent l'attention de Rikke. Elle croit reconnaître des collègues.
Les aubergistes se replient vers l'escalier le plus proche. Les deux druides, à l'allure sinistre, incantent : une nuée de vermine, mélange de chenilles processionnaires, capricornes, scolopendres, scorpions, araignées sauteuses et autres arthropodes répugnants, surgit de nulle part et se répand sur l'embarcadère !
Sigmund réagit comme à son habitude : il ouvre son sac à malices en glapissant, commence par lancer un fumigène puis répand des billes avec frénésie. Rikke, à ses côtés, fait preuve de plus de flegme : un sourire aux lèvres, elle enchaîne
Vague tonnante sur
Vague tonnante, faisant rouler les billes dans un épouvantable fracas. L'effet est dévastateur sur les ifriers : déséquilibrés, ébranlés, bousculés, beaucoup s'effondrent ou tombent à l'eau. Désarmé, Klaus se contente de jouer des poings quand un forestier s'approche.
Les deux druides noirs représentent un danger bien plus important. Ils se concentrent sur l'émissaire : non sans panache, Tanorivel attrape celle-ci et, grâce à sa corde magique, parvient à escalader le mur, la nuée grouillante sur ses talons. Au niveau supérieur, la porte de l'Auberge du Pont s'ouvre : Léna, la mère maquerelle, fait entrer les deux fugitifs dans la taverne. Ils parviennent à se barricader.
Au pied de l'escalier, un enchevêtrement de ronces et de sumacs vénéneux menace d'engloutir les aubergistes. Profitant que la nuée d'insectes a disparu, à la poursuite de Tanorivel et de l'émissaire, Klaus, Sigmund et Rikke décampent. Le hobbit jette un coup d'œil derrière eux, lorsqu'il grimpe l'escalier, et remarque le peu d'entrain des soldats d'Alasaril à remonter sur l'embarcadère pour arrêter les assaillants. Les quelques ifriers encore debout préfèrent de toute manière se replier. Leur cible est maintenant hors de vue et ils ont subit de lourdes pertes. Morrigan, qui essayait de nouer une alliance, ne va pas apprécier ! Sigmund râle pour la forme.
C'était bien la peine de payer ce fichu impôt révolutionnaire.
Quand on a que l'amour, pour tracer un chemin...
Oriëne est sauvée. Elle se confie à Tanorivel et à Klaus. Son attitude froide, voire hautaine était une couverture pour les protéger de la vindicte d’Alasaril s’il découvrait les liens qu’ils partagent. Malheureusement, l'attitude de Tanorivel lors de leur visite à Fort Greifstark risque de lui attirer tout de même des ennuis, quand elle ne sera plus là pour le protéger.
L'émissaire rembourse largement son séjour à l’auberge en donnant à Klaus une fortune en bijoux elfiques, d’une valeur totale de 2000 pièces d’or. Elle confirme à Tanorivel tout ce que son oncle lui a déjà expliqué. Le fils de Klaus comprend qu'il est en partie à l’origine du plan visant à faire naître des demi-elfes. Oriëne lui demande de surveiller l’évolution de la situation à Brenhaven. Elle insiste, il faut se méfier de la doyenne des arindeäls, Aínulaurië. Si jamais quelque chose d’« extraordinaire » devait se passer – elle ne précise pas quoi – ils doivent immédiatement la prévenir et quitter la ville pour fuir le plus vite et le plus loin possible, en évitant les forêts. Pour couvrir leur fuite, elle leur confie une jarre de brume, capable de susciter un brouillard sur 30 mètres de diamètre autour de son porteur, pendant une heure.
Pour la contacter, Oriëne leur confie enfin les pétales séchés d’une étrange fleur jaune. Elle a planté elle-même cette fleur dans la forêt elfique, et s’y rend en rêve régulièrement. En brûlant ces fleurs comme de l’encens avant de se coucher, un dormeur visitera le même endroit. Ils pourront alors se laisser des messages tracés dans la terre, ou se parler directement s’ils sont présents en même temps.
Et forcer le destin... À chaque carrefour !
Hélas, le jour suivant, les statues d'Augustus Maggiere annonce une terrible nouvelle : en amont du fleuve, le navire de l'émissaire a été attaqué par les ifriers. Il n'y aucun survivant, le navire a coulé avant même d'arriver au Lac Bleu. Le niveau d'alerte, qui était déjà passé à
Malatîl « oeil sous le soleil » après la découverte du complot de Carmichaël (alerte jaune), passe maintenant à
Culiunatîl « oeil au crépuscule » (alerte orange). Les patrouilles du guet sont non seulement renforcées mais également doublées d'une escouade elfe, composées d’un officier, de cinq archers et cinq épéistes. Les personnes munies d'un laisser-passer ne pourront plus échapper à une fouille en règle.
Sous le choc, Tanorivel essaye aussitôt d'entrer en contact avec Oriëne. Il espère que l'amie de sa mère a survécu, capturée par les ifriers ou les arindeäls. Dans sa chambre, il brûle une pétale à la flamme d'une bougie et la laisse se consumer dans une coupelle. Assis sur sa chaise, il respire les fumées épicées qui se dégagent et ne tarde pas à tomber dans une sorte de torpeur... Tanorivel se retrouve à l’endroit où pousse la fleur d’Oriëne, dans la forêt onirique. Là, il y découvre son testament, des mots écrits précipitamment dans la terre humide. L'émissaire de la reine, en attendant le coup fatal, est entrée en transe pour délivrer un dernier message au fils de sa meilleure amie. Un avertissement. Une supplique.
Les forces d’Aínulaurië nous attaquent. Préviens la Reine. Vous êtes tous condamnés. Pardonne-moi de ne pas avoir su l’empêcher.
Le demi-elfe prévient aussitôt son oncle. Tharivel accepte de le guider : voyager en rêve dans la forêt elfique s'avère périlleux, mais cela reste le meilleur moyen de parvenir jusqu'à la reine au nez et au menton glabre des partisans d’Aínulaurië.
Avant cela, les aubergistes ont toutefois plusieurs choses à terminer.