1.) Quoi que c'est ?
Dice Men – les origines de Games Workshop dont la VF vient juste de paraître chez AAP par (sir) Ian Livingtsone.
2.) Vous en avez entendu parler où pour la première fois ?
En traînant sur le site d’AAP pour guetter leurs prochaines parutions.
3.) Achat compulsif, impulsif ou réfléchi ?
D’abord réfléchi par rapport à l’intérêt de l’ouvrage, et ensuite impulsif après avoir feuilleté l’exemplaire en boutique. Je pensais en effet que le format de l’ouvrage serait plutôt un mook – A5 avec beaucoup de texte, et s’il s’avère que c’est un beau livre A4 avec moult iconographies cf. ci-dessous.
4.) Vous pensiez trouver quoi ?
Un livre à la Art & Arcanes, avec plein de visuels des temps héroïques et beaucoup de texte pour mieux connaître Games Workshop, presqu’aussi mythique que TSR (et avec la même histoire torturée), géographiquement plus proche de chez nous, et dont on connaît pourtant beaucoup moins l’épopée.
5.) Vous avez trouvé quoi ?
Sur la partie graphique exactement ça : nostalgeeks, vous allez être servis avec les couvertures des premiers White Dwarfs ou des premières éditions Warhammer, les affiches des Games Days des temps antédiluviens et tout un tas de photos où apparaissent Steve Jackson et Ian Livingstone en culottes courtes. Ce dernier a manifestement exhumé ses cartons d’archive précieusement rangés pour nous régaler avec ses souvenirs. On retrouvera même les premiers contrats ou les premières écritures comptables de Games Workshop. Bref, cela m’a fait le même coup de cœur et coup de blues (le temps file) que pour Art & Arcanes.
Sur le contenu, c’est en revanche beaucoup moins enthousiasmant. Bien que rédigé à la première personne, je m’attendais à autre chose que juste un album photo commenté. Pas forcément un Art & Arcanes, mais un truc un peu à la Sarelli avec un texte plus dense, et un propos un minimum introspectif et analytique pour nous conter l’aventure Games Workshop, et des débuts du jeu de rôle au Royaume-Uni.
Or on a le droit à la place à une autobiographie extrêmement complaisante, et assez superficielle. Vous trouverez évidemment dans cet ouvrage tout plein d’informations sur les origines de l’entreprise, et ses coups de génie avec les figurines Citadel ou les LDVELH. Mais tout ceci n’est raconté que sous forme de souvenirs, avec relativement peu de mise en contexte et de prise de hauteur. Ian Livingstone a manifestement exhumé les registres du personnel pour rendre hommage à tous ceux qui ont participé à l’aventure, au moins dans les temps héroïques, voire ceux-ci ont le droit à un petit encadré pour livrer leurs souvenirs personnels. Mais ceux-ci ne dépassent pas les « comment c’était trop cool », « merci Ian et Steve de m’avoir fait confiance » « les bons souvenirs dépassent les mauvais moments » avec un intérêt donc très très limité.
L’historien rôliste sera donc vitre frustré par l’inanité du contenu : tous les sujets un peu sensibles sont à peine effleurés, à part ceux où il y a prescription (je pense surtout à la tentative de rapprochement de TSR avec Games Workshop sous l’initiative de Gary Gygax). Pour les autres, on sent que certaines blessures restent à vif (TSR UK et la personnalité de Don Turnbull, les relations troubles avec Bryan Ansell), et surtout que les avocats ne sont pas encore très loin au cas où le propos déraperait...
Cela laisse donc des pans béants dans la vraie histoire de Games Workshop : à part un visuel de couverture, on ne trouvera aucune information sur la conception, le développement et l’arrêt brutal de Warhammer Le Jeu de Rôle (!) ; et même pas une évocation de la version JDR de Défis Fantastiques (!!)
De même, la ré-orientation de Games Workshop et de White Dwarf en pure boîte capitaliste de production et de vente de figurines à ouat mille boules est évoquée en filigrane, dans un pur understatement. Décision peut-être justifiée quand on voit le succès ensuite, et ce qui a permis d’éviter le bouillon que s’est pris TSR. Mais véritable trahison à l’époque de la communauté rôliste pas seulement granbreton, sur quoi on pourrait ajouter que le développement phénoménal de GW a aussi asséché le marché UK : pas de place pour des réseaux de boutiques locales, pour d’autres éditeurs avec leur propre production (je caricature mais à peine, l’édition UK à l’époque étant surtout limité à de la production amateure d’où un fanzinat extrêmement florissant). A ce titre, je vous renvoie vers le super dossier sur le JDR au Royaume-Uni qu'avait fait Di6dent n°15 en son temps.
Ian Livingstone ne manque cependant pas de s’afficher comme le
good guy de l’histoire, ou de se planquer derrière la personnalité clivante de Bryan Ansell (qui sera fustigé dans le numéro 77 de White Dwark après un célébre accrostiche – évoqué dans Dice Men mais avec une retenue toute britannique puisque le fameux sommaire n’est pas reproduit), alors que ces décisions sont aussi les siennes…
Le four de l’implantation de Games Workshop aux US vers la même époque est aussi passé sous silence, parce que Ian Livingstone veut nous raconter globalement qu’un joli conte, sans vraiment de mea culpa – ou au moins une analyse un peu neutre et distanciée – de décisions douloureuses ou qui sont restées très contestables…
A partir de là, on a peine à croire à la sincérité des propos de Ian Livingstone et ce livre sonne faux, ou en tout cas avec un intérêt plus que limité. On mesure aussi mieux la complainte française que le JDR n’est pas un business quand on compare l’expérience française finalement très bisounours, avec celles US et UK qui sont raccord avec la mentalité anglo-saxonne des affaires, avec force coups tordus et trahisons en Conseil d’Administration. Dommage donc que ce livre ne permette pas d’entrer dans le détail de cette histoire UK un peu sordide, quand toute la partie US est aujourd’hui largement connue et documentée.
Je termine avec un mot sur la traduction puisque cette revue se fait sur la VF. Le livre se lit bien mais je m’interroge à quel point la traduction a été aidée par un outil d’assistance quand on tombe sur entrevue pour traduire entretien professionnel, ou royautés pour traduire royalties ! Inversement, je veux croire au travail personnel du traducteur quand on tombe sur un « chômedu » un peu incongru au détour d’un passage. Bref, ça reste honnête mais ça pique parfois un peu.
6.) Allez vous vous en servir ?
Comme tous les livres de ce type, c’est fait : maintenant qu’il est lu, je peux désormais briller en société (rôliste)
7.) En conseilleriez-vous l'achat ??
Non suite à mes critiques, ce livre reste une amère déception qui n’aura été compensée que par le plaisir visuel. Mon conseil sera donc plus comme pour une belle (et onéreuse) BD : achetez-le pour l’offrir à une copine ou copain geek, faites-vous plaisir en le feuilletant, et vous ferez certainement plaisir en l’offrant. Sinon cela ne vaut pas les 40 € demandés ☹