S02E08.3 Carnets de Cagliostro (suite)
Ce n’est qu’en 1792, à la fin de l’été que j’ai repris contact avec Montaigüe. Il était dans son bureau, jonglant entre les lettres de ses créanciers divers, tentant de décider lesquels satisfaire et lesquels attendraient encore quelque peu. Ma voix lui parvint par la bouche de l’idole de bronze.
« Montaigüe, j’ai besoin de tes services. »
Il a sursauté. Puis s’est retourné. Il avait l’air agacé et secoué à la fois, mais ne l’a pas exprimé verbalement.
- « Merci de prévenir la prochaine fois. Vous m’avez surpris. »
- « Je n’ai pas le temps de palabrer. » lui ai-je répondu. « Il te faut contacter ceux de l’Auberge de la Perche. Vous devrez vous rendre au Garde Meuble Royal et y subtiliser les deux plus grosses pierres précieuses. »
- « Mais pourquoi ? »
- « Tu le sauras en temps et en heure. Ne tardez pas trop. Je pressens que les pierres n’y resteront pas longtemps… »
Il a fait convoquer les autres, et ils se sont retrouvés le lendemain soir à l’Auberge de la Perche. Montaigüe leur a expliqué la mission. A leur crédit, ils n’ont pas discuté les ordres et se sont immédiatement préoccupé de la manière de procéder. Ils ont pris deux jours pour examiner les lieux et préparer leur plan. Délai funeste qu’ils viendraient à regretter, comme la suite le montrera.
Boulanger et la Saugeon ont réfléchi à la manière d’infiltrer le Garde Meuble, aussi connu sous le nom d’Hôtel de la Monnaie. Grand bâtiment classique, il est sis en bordure de Paris, le long de la place de la Révolution. C’est calme et peu fréquenté par là-bas, ce qui servait le propos des voleurs qui les ont devancé, bien qu’eux-mêmes aient choisi une autre approche. Ils planifient leur affaire pour le matin du 14 Septembre.
La Saugeon a repéré les blanchisseuses qui arrivent au petit matin pour faire les lits et nettoyer l’intérieur des salles habitées. Elle trouve le moyen de se faire engager comme blanchisseuse et se présente avec le reste des blanchisseuses le 14 à l’aube.
Boulanger s’est débrouillé pour sympathiser avec l’intendant du Garde-Meuble. Le bâtiment est entouré de grilles qui forment une certaine protection, mais la garde n’est pas nombreuse. Le 13 au soir, il se présente avec des cartes (c’est bien mon disciple), de l’alcool et des victuailles. La fête dure loin dans la nuit.
Montaigüe quant à lui a identifié le boucher qui livre les gardes en tourtes et autres repas. Sous prétexte de lui proposer une affaire commune et lucrative, il obtient de visiter les cuisines au bon moment et glisse un laxatif puissant dans la charpie qui servira à fourrer les tartes. Le matin du 14, déguisé en médecin, il se tient prêt non loin de la sortie latérale de l’enceinte.
Lacarrière a obtenu de son ami Cartouche une représentation des lieux. Il sait dans quelle pièce sont conservés les bijoux royaux et même quelles sont les armoires les plus intéressantes.
Barru enfin a passé les deux derniers jours à répandre des rumeurs sur un dépôt de pain à l’intérieur de l’Hôtel de la Marine. Il organise en sous-main une émeute du pain pour l’aube du 14.
Lui et Lacarrière se positionnent le long de l’enceinte, et lorsque les émeutiers commencent à hurler devant l’entrée principale, secouant les grilles, les gardes se déplacent naturellement vers là, leur laissant le champ libre. C’est d’autant plus le cas que depuis la veille une partie des gardes semble affectée par une épidémie de courante des plus handicapante.
Ils pénètrent dans l’enceinte et escaladent la façade le long d’une gouttière. Une fois arrivé devant le volet qui les intéresse, Barru se concentre pour contorsionner les barres de fer qui bloquent le volet de l’intérieur grâce à sa thaumaturgie, mais il ne parvient qu’à se donner mal au crâne.
Au démarrage de l’émeute, Boulanger, qui était encore en train de jouer aux cartes avec une partie des gardes dont le garde-chiourme parvient à subtiliser la clé des étages à ce dernier avant que les gardes, affolés par l’émeute ne se ruent dehors. Il retrouve la Saugeon au pied de l’escalier et tous deux montent.
Ils trouvent un corridor qui mène à la porte qui les intéresse, mais il y a là deux gardes, visiblement las, qui n’ont pas entendu les bruits de l’émeute. Boulanger se cache tandis que la Saugeon avance, avec son meilleur air d’ingénue.
Les gardes lui demandent ce qu’elle fait là tout en admirant sa plastique. « C’est l’intendant qui m’a proposé d’aller jeter un œil, il m’a dit qu’il y avait des belles choses à admirer. »
Les gardes lui disent que la porte étant fermée à clé, elle ne risque pas de voir grand-chose. Sans se laisser démonter, elle lance une œillade aux deux gardes et dit « Mais détrompez-vous, je vois déjà des belles choses. Il n’y a pas un lit près d’ici, que je puisse les admirer de plus près ? » Les deux gardes n’en croient pas leur chance et emmènent la Saugeon dans une pièce isolée. Boulanger en profite pour ouvrir la porte et se glisser à l’intérieur.
Il s’attend à trouver Lacarrière et Barru prêts à repartir avec le butin, mais il voit leurs silhouettes de l’autre côté du volet. Pestant, il va ouvrir la fenêtre et le volet pour les laisser rentrer. Ils se ruent ensuite vers les armoires indiquées par Cartouche… pour constater qu’elles sont déjà fracturées. Ils avaient été précédés. Je savais qu’ils auraient du se presser.
Ils s’en sont quand même mis plein les poches de petites gemmes et de bijoux de piètre valeur. Puis ils se sont dirigés vers la sortie latérale de l’Hôtel. C’est là que Montaigüe était arrivé quelques minutes plus tôt, en tenue de médecin, prétextant que l’intendant l’avait fait appeler pour une épidémie de diarhée. Un garde contorsionné de douleur l’a fait rentrer, et il a administré à chacun des gardes présents… une bonne dose de vomitif, prétextant que c’était un mal nécessaire pour purger leurs estomacs des miasmes et mauvaises humeurs. Inutile de dire que lorsqu’ils sont descendus, les trois autres ont pu sortir sans encombre.
En attendant ils ont échoué à trouver ce dont j’ai besoin. J’espère qu’ils vont rapidement résoudre ce contre-temps, et que je n’ai pas misé sur les mauvais chevaux…