Vous avez envie de plonger vos joueurs dans une fin de Moyen Âge apocalyptique, avec son contingent de fanatiques religieux, sa noblesse décadente et ses bourgeois corrompus ? D'une campagne où le jeu politique s'avère tout aussi meurtrier que les opérations militaires, sinon plus ? D'un huis clos urbain qui se referme peu à peu sur les personnages alors même que ces derniers s'échinent tant bien que mal à placer leurs pions sur l'échiquier, à défendre une utopie qui bascule lentement vers l'horreur et bientôt à simplement survivre ?
Imaginez le tableau. Nous sommes en 1534 à Münster. C'est la plus grande ville de Westphalie, une région agricole du Saint-Empire romain germanique (SERG pour les intimes) particulièrement riche, et c'est aussi le siège d'un prince-évêque. Quelques années plus tôt, au même titre que les autres États allemands, elle est touchée par la Réforme protestante. Sauf que notre prince-évêque,
François de Waldeck, n'est pas franchement jouasse et tente d'étouffer le truc. Manque de bol, ça rate complètement. Non seulement il ne parvient qu'à renforcer les partisans de l'opposition mais en plus les conduit à se radicaliser. De gentils luthériens, ils deviennent
anabaptistes : ils réfutent le baptême des enfants, prônent une recherche de la perfection morale et annoncent carrément la fin du monde comme étant imminente. Mais il y a également une dimension socio-politique là-dedans. Le mouvement répond au ras-le-bol des populations face à des élites corrompues (en tout cas perçues comme ça, l'historien ne juge pas n'est-ce pas ?).
Et justement, le prince-évêque ayant été contraint d'autoriser la liberté de culte dans la cité, le nombre d'anabaptistes augmente rapidement. Il faut dire que partout ailleurs ils se font cogner dessus. En parallèle, pas mal de catholiques et de luthériens en profitent pour se tailler. Sur ce coup ils ont eu le nez fin : en janvier 1534, les mercenaires engagés par François de Waldeck se font botter le train et sont contraints de quitter la ville. C'est là que ça devient intéressant.
Parce qu'à Münster en 1534, il y a un certain
Jan Matthijs (ne me demandez pas comment on le prononce), boulanger de son état et surtout partisan d'un anabaptisme un peu particulier. Fini le pacifisme, il prêche le renversement des dirigeants par la violence et appelle à préparer le Royaume de Dieu qui s'annonce (l'Apocalypse, la venue du Christ, tout ça). Secondé par un tailleur,
Jean de Leyde, il proclame Münster Nouvelle Jérusalem. Aussitôt ses disciples s'emparent de la cité et baptisent des milliers de fidèles. Des préparatifs sont lancés. Pour conserver la ville d'abord (que le prince-évêque s'empresse d'assiéger), puis carrément pour partir à la conquête du monde (oui, le concept c'est d'accélérer la venue de l'Apocalypse pour passer le plus vite possible aux réjouissances qui suivront).
Quelques mois passent. À l'intérieur de la ville, la vie s'organise autour du mode anabaptiste, tandis qu'à l'extérieur François de Waldeck (qui n'a pas assez d'hommes pour lancer l'assaut, tout au plus pour l'encercler) fait des pieds et des mains pour obtenir des renforts. Et puis le dimanche de Pâques, Jan Matthijs pète une pile : il se prend pour un
Gédéon bis, prophétise la défaite des méchants catholiques et sort avec une poignée d'hommes à la rencontre des assiégeants, qui le mettent littéralement en pièces (on plante sa tête sur une pique et on cloue ses organes génitaux sur une porte de la ville, la bonne ambiance quoi). Du coup c'est Jean de Leyde qui reprend le flambeau.
Et hop, deuxième craquage de slip. Le type prétend avoir des visions, se proclame successeur de
David et s'arroge les honneurs royaux. Il légalise la polygamie et prend lui-même seize (!) femmes. Et comme c'est aussi un grand rigolo, il en profite pour forcer les veuves de ses opposants décapités à l'épouser. Il établit la communauté des biens alors que la population commence doucement mais sûrement à mourir de faim (je vous laisse deviner qui bénéficie avantageusement de ce partage ...). Pendant quelque temps (un an, tout de même), Münster résiste au siège, jusqu'à ce qu'elle soit prise le 24 juin 1535. Le prince-évêque les a finalement eus, ses renforts. Je passe rapidement sur la bataille, le résultat est assez prévisible. Pas mal de morts, pillages, viols, etc. Jean de Leyde et ses plus proches partisans sont capturés, torturés et exécutés assez salement.
Or donc, qu'avons-nous là ? Une galerie de PNJ plutôt hauts en couleurs. Un déroulé des évènements sur presque deux ans. Une ambiance de fin du monde qui va crescendo jusqu'à la chute de cette Nouvelle Jérusalem. Des intrigues mêlant politique, spiritualité et enjeux sociaux. Des factions pour motoriser ces intrigues. Et des personnages au milieu de tout ça. Qui sait, peut-être sauront-ils changer le cours de l'histoire ?