Acte 1, scène 5 : on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs
Raimbaud nous accompagne jusqu'au palais du Roi-Dieu, où nous sommes accueillis par l'un des chambellans, qui nous accueille avec toute la réserve qui sied tant à son rang qu'à son rôle. Nous approchons, et il nous explique que Theaphanerys XIV, le Roi-Dieu en personne, à été impressionné par notre performance de ces dernières vingt-quatre heures, et qu'il nous invite à nous présenter formellement devant la cour. Je fais part de mon inquiétude quant à notre apparence. Certes nous nous sommes lavés et ne sommes plus couvert des entrailles des gobelins, mais nos habits restent de bien modeste facture. Notre ami l'aristocrate échange quelques mots avec le maître de cérémonie, qui semble acquiescer. Raimbaud s'adresse ensuite à nous. Il va bien évidemment nous aider, comme c'est d'usage entre bons amis, et il s'éclipse le temps d'intervenir de manière appropriée.
Nous suivons le chambellan qui rentre dans le palais et nous emmène dans une antichambre d'une taille impressionnante. En chemin, nous sommes invités à laisser nos armes dans un vestiaire, ce que nous faisons avec grâce. Enfin Musaraigne ne peut s'empêcher de garder une petite lame, et Alceste est autorisé à garder sa hache tel un immense accessoire. Nous y déposons même les œufs. Ils seront sous bonne garde et ne nous encombrerons pas. Nous attendons depuis une bonne heure dans ce majestueux vestibule quand Raimbaud revient accompagné de domestiques. Ils ont les bras chargés de magnifiques vêtements.
Il assigne à notre amie roublarde une livrée de valet sombre et fonctionnelle, assez habillée pour ne pas dépareiller dans le palais, mais suffisamment sobre pour ne pas outrepasser son statut de servante. Elle se fondra parfaitement dans le décor ! Il fait ensuite habiller le colosse et le ménestrel avec de splendides costumes de cour. Chacun d'eux se voit sublimé dans son style. Alceste est habillé tel un guerrier d'une lointaine contrée, et tout est fait pour magnifier sa hache. Quand à Lugan, le point d'orgue de son personnage est sa lyre.
Avec moi, il prend le temps d'échanger et nous faisons une rapide séance d'essayage pour trouver la tenue qui me siérait le mieux. Il profite que nous soyons entre homme de goût pour me montrer l'étendu tant de son appétence que de sa compétence pour cet exercice. Car paraître à la Cour du Roi-dieu n'est pas un exercice anodin. Il faut bien sûr des vêtements d'excellente facture, mais ceux-ci doivent également être accordés à la situation du moment, en particulier au calendrier religieux de chacun des quatre temples de Laelith. Je comprends qu'il est un véritable artiste en ce domaine et je l'en félicite chaudement. Il reste très humble devant tant de louange, mais nous sommes bien compris. Entre hommes du monde, nous reconnaissons nos talents.
Sur ces entrefaites, nous sommes invités à paraître à la cour et nous entrons dans la salle où se tiennent les audiences. Enfin, la salle... Nous sommes dans un dôme d'une taille cyclopéenne, et au milieu se tient Theaphanerys XIV sur son trône. Il préside la réception inamovible et muet, car tel est son rôle en public. Il est paré d'un masque de cérémonie qui dissimule son visage, masque qui change selon les jours voire les heures de la journée, fonction du comput des cultes. Originalité de Laelith, le titre de Roi-Dieu n'est pas héréditaire mais est le fruit d'une élection décidée entre les cinq cultes de la cité, les quatre officiels et celui des bas-fonds. Usuellement c'est un jeu entre les quatre, mais anecdote aussi invérifiable que truculente, il est arrivé qu'un des heureux élu soit issu du cinquième culte, et cela a bien évidemment très mal fini.
Le premier chambellan, seul habilité à parler au nom du Roi-Dieu, démarre son discours et nous introduit devant l'assemblée. Lugan commence et en guise d'introduction se fend d'un petit concert improvisé. Le mouvement était risqué mais notre troubadour s'en sort mieux que bien, et il impressionne l'assistance qui écoute religieusement. Cela finit par un tonnerre d'applaudissement. Puis arrive Alceste. Il est massif et imposant, sa hache négligemment sur l'épaule. La cour frisonne mais est fascinée. Puis j'arrive, et c'est le calme plat. Je suis vexé. (Note de jeu, encore un jet de dé échoué pour Burak)
A mon grand soulagement, le premier chambellan propose une interruption de séance et laisse la noble assemblée vaquer à ses occupations. Et d'un coup, nous sommes entourés de la fine fleur de l'aristocratie de Laelith, qui veulent tous profiter de notre subite notoriété. Chacun d'entre nous sort son épingle du jeu. Lugan par sa maîtrise de la lyre envoûte les mélomanes de l'assistance dont moult nobles dames. Alceste subjugue par son art de la hache tout ce que l'assemblée compte d'hommes attirés par le maniement des armes. Même sa non maîtrise des codes de la cour joue en sa faveur, le faisant paraître si authentique. Et votre humble serviteur brille par sa culture générale et attire autour de lui toute la société savante de Laelith. Même Rodrigue d'Ardellonde est venu me saluer, accompagné de l'ambassadeur de Burgonnie en personne. Il est bien décidé à oublier notre première rencontre sur la trirème. Enfin ! Certes je ne me suis pas démarqué de mes compagnons, ce qui nécessairement me perturbe, mais au moins je suis reconnu à mon juste niveau. Nous prenons contacts sur contacts, et nous devrions pouvoir remplir nos agendas mondains dans ces prochaines semaines, ce qui devrait nous permettre de faire monter tant nos finances que notre réseau. Même Sorgeuse est au centre de l'attention des différents serviteurs, et elle en profite pour étoffer son réseau d' "indics".
D'ailleurs après quelques dizaines de minutes, elle se rappelle à mon bon souvenir. Je l'avais presque oublié tant j'étais absorbé à briller auprès de mes pairs. Il semblerait que nous soyons désirés de manière urgente pour un entretien avec un personnage d'importance. Je fais signe à mes compagnons, avec toute la discrétion et la grâce qui me caractérisent, et nous nous éclipsons de nos conversations respectives. Nous suivons le servant qui avait informé Musaraigne que nous étions attendus. Et nous arrivons en présence de notre nouveau commanditaire, toujours aussi musclé. Il s'agit bien évidemment du prêtre du crâne que nous connaissons si bien désormais.
Il est plus qu'aimable quand nous arrivons. Il nous remercie d'être venu et nous félicite de notre nouveau statut. Il se présente officiellement, Providence Craque-Noix, enquêteur haut placé dans la hiérarchie du culte du crâne, affecté aux affaires sensibles. Il nous explique que son enquête a bien progressé. Et que de ce qu'il a compris, la nôtre a piétiné, puisque factuellement nous avons échoué à pister Serhafa. même s'il comprend que nous avons des circonstances atténuantes et qu'en particulier on ne refuse pas une invitation à comparaître devant le Roi-Dieu. Il nous rapporte d'ailleurs que nous sommes désormais connus jusque dans le Cloaque. Un gobelin qui a survécu à notre altercation aurait alimenté notre légende naissante par son bavardage...
En tout cas il a remonté rapidement la piste autour de maître Marckmell, et il en profite pour faire un petit clin d’œil à Musaraigne. Le notaire lui a confié le nom de l'acheteur ultime, un aristocrate très haut placé. Il a finalement découvert que les œufs de griffon auraient dû être servis en omelette lors d'un dîner exceptionnel. A priori un pari excentrique tenu dans un contexte alcoolisé, comme cela arrive parfois sur les Hautes Terrasses. Le gentilhomme en question a été vertement réprimandé, et notre connaissance le notaire est vraisemblablement en train de se mettre au vert. L'enfroqué du crâne nous informe que d'ailleurs il s'est permis d'aller récupérer dans nos affaires lesdits œufs, car visiblement nous n'en aurons désormais plus besoin...
Mais quelque chose le chiffonne. Il reste étonné de tant de bruit et de fureur pour des œufs de griffon et un pari stupide. Et là je sors du bois, lui expliquant qu'il s'agit de la progéniture d'un dragon, à la surprise tant du prêtre que de mes compagnons. Je lui fais part de mes interrogations et théories. Il réfléchit, acquiesce et nous propose un plan. Il faut donc plus que jamais savoir qui a présenté aux enchères ce premier prix, et pour ça il a besoin de nous. Et puisque bien évidemment notre agrément de la veille tient toujours, il nous faut retrouver le commissaire priseur Cerfa. Mais dans sa grande mansuétude et pour l'intérêt supérieur de la cité, il va nous aider et nous donner une piste...