J'ai terminé hier ma lecture du livre de base des
Héritiers. Voici donc un avis sur les derniers chapitres :
- "Armes et équipements". Un chapitre classique, mais efficace. Contrairement à mes craintes, il n'y avait pas trop de détails sur les différentes armes, simplement des informations synthétiques assorties de tableaux techniques qui rendent possible un grand degré de précision quand on en a envie. Des équipements et accessoires très variés sont proposés. Ils ont l'avantage de contribuer à poser l'ambiance 1900, en particulier les modèles de voitures (50 km/h est une vitesse folle à l'époque) et les gadgets qui trouvent une place intermédiaire entre le steampunk léger et le pré-James Bond. Sauf que les PJ en seront pour leurs frais s'ils veulent des technologies avancées : même en allant chercher des équipements à la pointe du progrès, on reste en 1900 et il va bien falloir composer avec les réalités de l'époque, ce qui s'avère au fond rafraîchissant.
- "Une histoire des fées". On attaque enfin la partie réservée au Docte (MJ) avec ce chapitre crucial qui devait dévoiler les fondements de l'univers et l'histoire des fées jusqu'en 1900. Autant le dire tout de suite, ce chapitre m'a déçu.
* On commence par une page de demi de chronologie amène comme une porte de prison, que j'ai lue sans savoir si les infos qu'elle contenait faisaient partie des choses importantes à lire tout de suite (comme la plupart des encadrés du livre) ou si elles n'étaient qu'une synthèse de la suite du texte (manque de pot, c'était le cas). Pas grave, mais dommage.
* Je pensais comprendre enfin qui sont les fées, en savoir enfin davantage sur Merlin, Viviane et le fameux "merveilleux arthurien" annoncé en quatrième de couverture. Il faut dire que, jusque là, du merveilleux arthurien, il y en a eu très peu ! Quelques noms extrêmement allusifs, et tant pis si vous ne voyez pas qui est Viviane ou à quoi fait référence Avalon. Le moment était venu d'organiser tout ça et d'exposer les bases pour les MJ. Que nenni : on est renvoyé au supplément
Un livret pour les Doctes pour toute l'histoire ancienne et les légendes fondatrices. Raison invoquée : tout cela est incertain et mal connu. Sauf que, côté MJ, ça fait plusieurs chapitres qu'on entend parler de PNJ importants comme Merlin, et qu'il faut bien à un moment dire qui ils sont et ce qu'ils font (un minimum). Mais non. On attaque au VIIe siècle avec les débuts de la monarchie et on enchaîne sur les complots. Pire : d'autres PNJ très importants entrent en scène, comme le Marcheur, apparu au détour du texte et évoqué dans un encadré sans être présenté. Qui est-ce ? Je n'en sais rien, je ne suis que le MJ ! Conclusion : on retombe sur le même problème que précédemment, à savoir la répartition des informations, mais cette fois à l'échelle de la gamme. En l'état, avec le livre de base, le MJ ne les a pas, les bases. Ce livre de base aurait pu s'appeler "Manuel du joueur", ça n'aurait pas fait une grande différence. Et je n'apprécie pas, parce que, n'ayant qu'une bourse limitée à consacrer à mes achats ludiques, j'avais choisi de ne pas
pledger pour la totale, mais simplement pour le livre de base, et je n'apprécie jamais qu'une gamme s'efforce de m'en faire acheter plus avant de pouvoir vraiment jouer.
* Une bizarrerie : certaines tournures de style semblent prendre partie pour la Monarchie, alors que l'exposé des factions en présence avait été assez neutre dans les chapitres précédents. C'est d'autant moins compréhensible que le chapitre n'est pas toujours à l'honneur de la Monarchie, loin de là.
* L'absence d'informations sur le passé légendaire des fées est sans doute pour quelque chose dans l'autre raison pour laquelle ce chapitre m'a déçu : il y a un genre d'effet Game of Thrones insidieux qui éclate là dans toute sa force, à savoir qu'on contemple des factions complotant les unes contre les autres de siècle en siècle, dans une logique qui s'abstient soigneusement de nous montrer des types bien. Pas de héros, pas de bonne cause, pas d'idéal auquel adhérer, certainement pas, ça risquerait de ne pas faire assez sombre, peut-être. Autant je me passionnais pour l'univers au début, autant, curieusement, j'ai fini par ressentir une certaine lassitude. Je ne me retrouve dans aucun personnage ni aucune faction, et à vrai dire j'ai fini par devenir assez indifférent à ces complots. Les ficelles et ressorts utilisés sont peut-être trop classiques. L'ensemble manque peut-être trop d'espoir possible (ou d'humour).
Bref, j'ai fini par me demander : "Mais au fait, pourquoi on les sauverait, ces fées ?" A la lecture du livre de base, finalement, en tant que joueur ou joueuse, on n'a pas vraiment de raison pour ça. C'est ici que la différence éclate avec des jeux comme
Agone, dont Les Héritiers partage l'attachement à la diversité des peuples féeriques : dans
Agone, on était dans l'aventure de cape et d'épées, avec de grandes et belles causes à défendre, des idéaux vers lesquels tendre, des gens bien qui valent la peine d'être sauvés, un monde à construire. Là, rien. Complots, enjeux de pouvoir, manipulations, trahisons, influences, assassinats et tortures en veux-tu en voilà, mais pas de meilleures raisons de se battre. Qu'y a-t-il à sauver chez les fées ? Je n'aurais jamais cru écrire ça, mais, telles qu'elles sont décrites ici, franchement, ça ne me ferait pas grand-chose qu'elles disparaissent toutes en 1914. Vu leur nature finalement monstrueuse, vu ce qu'elles font aux humains et ce qu'elles se font entre elles, franchement, bon débarras. (Autant dire que je suis mal parti pour acheter la campagne.)
- "La monarchie féerique", lui, offre des informations bien utiles, qu'il aurait fallu placer plus tôt pour rendre l'exposé de l'univers plus didactique (avant le Who's Who, par exemple). On voit les grandes familles de la Monarchie féerique, leurs territoires, leurs domaines d'influence. Le chapitre souffre cependant du même défaut de gameofthronite aiguë que le précédent : le monde est noir, très noir, les luttes de pouvoir sont la seule vérité, il n'y a pas d'art, ni de sciences, seulement une espèce de pègre généralisée. Au fond, il n'y en a pas un pour sauver les autres, et ça ne me donne pas envie d'être le PJ ou le MJ qui s'ingéniera à le faire. Pas du tout l'idée que je me faisais des fées en 1900, ni de l'ambiance du jeu.
- On termine avec le scénario d'introduction : "A la vie, à la mort !" Il est présenté clairement, avec les infos, schémas et tout ce qu'il faut. Il me semble constituer une introduction cohérente et une bonne base pour un début de campagne. Son seul problème "objectif" (en dehors de mon sentiment personnel) se situerait à mes yeux du côté de la difficulté de mettre en scène un combat avec beaucoup de PNJ comme cela risque d'être nécessaire pour l'acte III. Accessoirement, le scénario peut être assez mortel.
Venons-en à mon avis 200% subjectif : j'ai terminé de décrocher du jeu avec ce scénario. Ce n'est pas qu'il soit mal écrit, mais il ne correspond pas du tout à ce que j'attendais du jeu, et seulement en partie à la manière dont le jeu avait été présenté. Tel quel, c'est un bon scénario de
thriller horrifique où l'on va de dangers mortels en scènes cauchemardesques, pour découvrir des vérités hideuses qui impliqueront de défendre chèrement sa peau avec du sang, de la sueur et des larmes. Je ne sais pas pour vous, mais quand on me dit "aventures féeriques à la Belle Epoque" et "jeu fantastique où se croisent merveilleux arthurien et parfums occultes", je ne lis pas "horreur franche" et "jeu de survie". Or, là, d'entrée de jeu, on a
Qu'il y ait autant de baston, passe encore, c'était annoncé sur l'étiquette. Mais le degré de violence, d'horreur et de scènes sombres et désespérées, le tout traité avec un fort degré de réalisme clinique, ça n'est absolument pas ce à quoi je m'attendais, ni ce qui avait été annoncé. Surtout, rien dans le livre de base n'annonce cela, ni ne donne les clés au MJ pour poser le cadre auprès de son groupe (je n'ai jamais été du genre à réclamer des
trigger warnings à tour de bras : c'est la première fois que je regrette leur absence), ou même pour mettre en scène ce type d'ambiance de manière équilibrée, car ce n'est pas si facile de maintenir ce type d'ambiance à une table.
Le résultat est qu'il y a moyen de dégoûter un groupe de jeu ou, au contraire, le risque que la partie finisse en série B ou en série Z (alors que, le jeu insiste là-dessus, ce n'est pas censé être du
pulp).
Bref, au terme de ma lecture, je crois que l'univers n'est pas pour moi, en tout cas pas tel qu'il est présenté ici, et certainement pas avec ce scénario.
Cela n'empêche pas
Les Héritiers d'être un jeu intéressant, que je suis content d'avoir contribué à faire exister et qui a un potentiel certain. Mais, à lire ce livre de base, le jeu se situe beaucoup plus du côté de
Crimes avec son XIXe siècle sanglant ou de
La Brigade chimérique avec son ambiance de fin du monde, que du côté de
Château Falkenstein, comme on a pu le croire au début. Il peut trouver son public, mais je n'en fais pas partie. Il y a sûrement moyen que je bricole des trucs avec, et je suivrai le jeu en tant qu'inspiration bienvenue, mais, si j'y joue, ce sera en l'allégeant d'une bonne partie de sa chape de plomb et d'horreurs.