The Company
Ou
"Accroche toi à l'obus j'enlève le canon"
The Company -A Roleplaying game about modern Warfare est un jeu de rôle où, comme son nom l'indique, les PJ évoluent dans "la guerre moderne", c'est à dire les conflits d'aujourd'hui, généralement qualifiés de "basse intensité" du fait de la relative faiblesse des moyens engagés (1) : guerre civiles, guérillas, insurrections, désordres civils, insécurité, défaillance de l’État…
Mais la nouveauté de ces conflits c’est l’institutionnalisation du mercenariat ; nouveauté relative, si l’on considère qu’il s’agit là, sans doute, de "l'autre plus vieux métier du monde"…
En effet, les PJs travaillent tous pour la société
Blades Group Ltd - alias "The Company" une Société Militaire Privée (SMP –terme désignant aujourd’hui les entreprises de mercenariat) basée à Londres... Bref ! Les PJ sont des militaires professionnels dont l’employeur travaille pour qui a les moyens de s’offrir ses services.
Alors qu’est-ce que cela nous donne ?
Le jeu.
The Company -A Roleplaying game about modern Warfare se présente sous la forme d’un livre de 215 pages (en anglais) disponible en PDF ou en impression à la demande (à couverture souple ou rigide).
La mise en page est des plus simples, sinon pauvre, mais claire et aérée. Il n’y a pas d’illustrations, juste des photos en noir et blanc, réputées (selon les auteurs) libres de droit. Un Index en fin d’ouvrage permet de retrouver assez facilement les informations désirées, ce qui est grandement apprécié.
Le livre est découpé en 11 chapitres (dénommés "sections") qui sont :
Section One: Employee Orientation
Qui est une présentation générale du jeu avec les questions habituelles : "Qu'est-ce que le JDR", "c'est quoi des dés ?", et "t'as pas 100 balles ?"
Section Two: The Company
Bien plus intéressante, cette section présente l’employeur des PJs, la société Blades Group Ltd, avec un organigramme complet de ses services et moyen qui pourraient en remontrer à certaines armées étatiques, à mon avis les auteurs se sont un peu emballés, mais pourquoi pas ?. On découvre à ce propos que la Company flirte aussi avec la protection des personnes (gardes du corps) et l'espionnage privé... Ces points ne sont quasi pas développés dans le jeu, mais offrent au MJ imaginatif (et ne le sont-ils pas tous ?) de quoi alimenter des scénarii allant au-delà de la simple baston à l'arme lourde...
Enfin, la société Blades Group Ltd a un code officiel d’éthique professionnelle, si si ! On est prié de faire la guerre, mais sans être trop méchant, merci.
Section Three: Character Generation
Chapitre consacré à la création de personnage. Il ne surprendra personne habitué au système Basic Ropleplaying system et ses multiples dérivés. Il convient toutefois de bien le lire car les différences d’avec les règles sont assez nombreuses et, naturellement, orientés en fonction du métier des PJs.
Pour ceux qui veulent savoir :
- C’est un système à Points de vie globaux ; et non localisés.
- Les compétences sont assez peu nombreuses et d’un emploi assez large.
- Les Caractéristiques sont au nombre de 7 : Strength (STR), Constitution (CON), Size (SIZ), Intelligence (INT), Power (POW), Dexterity (DEX) et Charisma (CHA)
Section Four: Skills
Décrit les compétences et les mécanismes de jeu. Les règles sont celle d’OpenQuest remaniées pour coller au contexte de guerre moderne. Personnellement c’est un chapitre que je trouve un peu léger, car les actions que vont entreprendre les PJs sortent un peu de l’ordinaire, je n’aurais pas craché sur quelques explications quant aux technique de parachutisme ou d’infiltration par voie sous-marine…
A noter que le système OpenQuest offre en option la possibilité d’utiliser des Points d’héroïsme, ou "Hero points", et offre même une nouvelle manière (optionnelle) de les utiliser par le biais des
"Plot Edits", c’est-à-dire la possibilité pour les joueurs de modifier eux-mêmes les évènements en leur faveur (c’est presque exactement comme ce qui se fait dans le jeu
Adventure!), permettant de jouer sur un mode plus "Hollywoodien".
Section Five: Equipment
Décrit tout l’équipement que peuvent employer les PJs: armes (évidemment!), y compris "à létalité atténuée", armures (indispensables !) et tout l’impédimenta militaire que transbahutent les soldats d’aujourd’hui dans des sacs à dos de 120 litres…
Il est intéressant de noter que presque chaque équipement est décrit avec ses effets en termes de règles, ce qui aide à se figurer l’utilité de l’embarquer ou pas… un bel effort de la part des auteurs et il convient de le souligner comme il se doit…
Section Six: Combat
Comme son nom l’indique : les règles relatives au combat. Compte tenu de la place que prendra fatalement cette activité lucrative mais dangereuse, dans les scénarios, le MJ est invité à lire cette section avec une grande attention.
Ceci est d’autant plus vrai que cette partie ajoute des règles spécifiques (tir de barrage, tir automatique, grenades, sniping, etc…) qui n’existent pas nécessairement dans la version de base d’OpenQuest…
A noter, pour ceux qui seraient tentés par des cross-over avec d’autre jeux employant le Basic Roleplaying system, que les dommages des armes à feu de The Company
ne sont pas les mêmes que ceux des autres jeux employant le Basic Roleplaying system. Ils sont en fait beaucoup plus importants alors que le nombre de points de vie reste inchangé ; mettez un gilet kevlar avant de sortir ! (2)
En outre, ces mêmes armes se voient ajouter une caractéristique de "Penetration Value" qui prend en compte leur capacité à percer une armure ou un blindage. D’un point de vue technique, je peux en comprendre l’utilité (c’est réaliste !), mais cela se justifie-t-il d’un point de vue ludique ?
Une déception : il n’y a pas de règle satisfaisante pour simuler les grosses explosions. Or, c’est là un type d‘évènement qui a toutes les chances de se produire régulièrement au cours d’un scénario standard…
Section Seven: Vehicles
Cette section présente à peu près tout ce qui roule, vole ou navigue à notre époque, d’une façon générique. C’est la section qui m’a le plus fait grincer des dents du fait de diverses approximations techniques, mais elle réussit à nous présenter le tout sous une forme générique et pratique, donc d’accord…
En fait, les véhicules sont surtout vus de deux manières : comme moyen de transport, ou comme machin derrière lequel aller de planquer quand les balles commencent à voler bas. Ils se voient même doter d’une caractéristique leur donnant une valeur de protection juste pour ce cas précis…
Si vous cherchez un système de combat entre des véhicules, ne soyez pas trop exigeants on est à des km de la complexité d’un GURPS "Vehicles". Ce n’est pas forcément un mal, mais je suis resté sur ma faim…
Section Eight: Missions
Ce chapitre présente les missions, ou plus précisément la façon de les préparer. Sa lecture est fortement recommandée au MJ comme aux PJs, car on peut supposer que le rôliste moyen a rarement eu l’occasion de préparer une véritable opération commando. Aussi ce chapitre a-t-il le mérite de donner des conseils, de rappeler les fondamentaux et d’assurer que MJ et PJs parlent bien de la même chose. Bref ! Il arrondit les angles autant que possible.
A noter que chaque mission se voit attribuer un budget et que les équipement et moyens d’action (drones, soutien, communications, transport) sont présentés avec un coût d’utilisation. Au total, pas question d’utiliser un hélico si on peut y aller en 4x4, on bosse pour
gagner de l’argent, qu’on se le dise !
Perso j’aime beaucoup !
Section Nine: The World
Cette section présente le monde vu par le prisme de la société Blades Group Ltd, c’e’st à dire en fonction des conflits qui le déchirent et les moyens d’y faire son beurre…
Tout d’abord on y présente six "points chauds" actuels de la planète, à savoir:
L’Afghanistan, l’Irak, le Nigeria, la Somalie, le Soudan et la " République du Rhapta" (Français dans le texte)…
Tous font l’objet d’une présentation rapide, qui tient plus du copier-coller de Wikipédia, mais qui ont l’avantage de démontrer que les auteurs se sont un minimum renseignés sur la question, et évitre au MJ de devoir le faire lui-même. L’effort est louable.
Ce qui est moins louable, c’est que la fiche sur le Soudan est déjà obsolète, puisqu’elle ne prend pas en compte la proclamation d’indépendance du Soudan du sud, le 9 juillet 2011.
En outre, la prétendue " République du Rhapta" est placée au même endroit que le Burundi, dont elle reprend plus ou moins la situation politique (instable) et ethnique (explosive), alors pourquoi ce changement ? Le Burundi a-t-il changé de nom sans que j’en aie été informé ?
Autres aspect du monde, les clients potentiels de The Company : il s’agit ici d’une chaîne d’informations nommé "eXtreme News Network", en abrégé XNN (3), une compagnie de prospection pétrolière nommée "Lancer Petroleum Group" et une association humanitaire nommée "Transworld AIDS Partnership (TAP)", qui lutte contre le SIDA et pour la capote…
Naturellement, dans un monde idéal, c’est-à-dire soumis à la Libre entreprise™, on trouve les inévitables concurrents que sont "Blue Marine Protection" (Australie), "Keeni Meeni Logistics (KML)" (Afrique du Sud), "Tsiolkovsky Asset Services" (Russie) et "Vanguard Special Purposes" (USA).
Enfin, la liste des "Méchants" du monde est présentée. Elle se compose des suspects habituels post-11 septembre, soit : Al-Qaeda (faut-il la présenter ?), The Army of Malachi (une bande fous de Dieu qui luttent pour le SIDA et contre la Capote –voir ci-dessus), les pirates somaliens et la Triade Sun Yee On...
D’une manière générale, s’il est intéressant, ce chapitre est le moins inspiré du livre…
Section Ten: Operation Bluebeard
Il s’agit d’un scénario destiné à servir de "première mission" aux PJs. Une affaire apparemment simple de prise d’otage sur un pétrolier échoué au large de la Somalie se complique d’une façon inattendue et pose un cas de conscience aux PJs sur le mode "Faut-il y aller ou pas ?". Sans prétention, mais sympa, avec juste assez de combat pour rester digeste…
Section Eleven: Operation F.I.S.H & C.H.I.P.S
Un scénario orienté "Total Combat" où on rejoue "Les 7 Mercenaires à Fort Alamo sous les tropiques, mais avec des lance-roquettes". En gros les PJs doivent défendre une mission humanitaire contre des hordes de tarés/chair à canon et tenir jusqu’à, l’arrivée des renforts… bof !
Le tout se termine par un Glossaire (3 pages) des termes techniques employés dans le jeu.
Bon, mais on fait quoi ?
C’est une très bonne question… on fait quoi ?
Résumons :
On joue des soldats professionnels, des mercenaires qui bossent dans les coins les plus pourris de la planète. Ils n’ont pas été forcés par les évènements de se trouver là, ce sont des employés et des volontaires. On peut supposer, à priori, qu’ils aiment ça !
En outre, ils ont accès à des gros moyens, aux équipements les plus modernes du moment et bénéficient du soutien logistique d’une entreprise qui emploie des milliers de personnes. Bref, c’est l’armée, mais une armée privée.
D’une certaine manière, un tel jeu peut évoquer ShadowRun ou Cyberpunk où on joue également des mercenaires à la morale à géométrie variable qui vendent leurs talents pour de l’argent. Sauf que le côté "indépendants" d’individualistes forts en gueule et vaguement anarchistes a disparu en même temps que le brillant du Chrome des années 80.
On joue des fonctionnaires de la Grande faucheuse, rigoureusement sélectionnés pour leurs aptitudes techniques, physiques et leur profil psychologique calibré. Les "Affreux" de Grand-papa Denard son bien morts, à défaut d’avoir été plus présentables, et on se demande bien où on va pêcher là-dedans le potentiel de roleplay qu’on est en droit d’attendre d’un JDR.
Certes, parmi tous ces professionnels calibrés et, disons-le, probablement honnêtes et consciencieux, on trouvera bien un psychopathe ou deux qui fait ce job parce qu’il aime tuer (ou parce qu’il a pété une pile au cours d’une mission, ce qui revient au même), mais c’est tout.
Dans le strict cadre de jeu offert par The Company, le MJ risque d’être bien en peine de trouver un
enjeu qui en vaille la peine et qui sera la source de l’aventure. Et qu’on ne fasse pas dans le sentimentalisme à deux balles : quel soldat professionnel (donc formaté) ira retourner ses armes contre ses employeurs et lutter pour la Liberté™ et la Justice™ juste pour les yeux tristes de la fillette-africaine-dont-la-môman-va-mourir-sinon ? Il se serait fait recaler au premier test psychologique !
Alors on fait quoi ?
On peut certes mener des opérations commando à l’aide d’un plan qui se passe sans accroc, mettre en place un dispositif parfait de protection rapproché pour une personnalité quelconque.
C’est incontestablement passionnant… pour les passionnés ! Ceux qui lisent RAIDS ou Sécurimag, qui ont visité le Salon Milipol au moins une fois (4) et qui constituent le cœur de cible pour ce produit. Mais les autres ?
Les fans de PMT y trouveront peut-être leur compte : au lieu de tuer les monstres et partir avec le trésor, on tue les terroristes et on part avec les otages. Ça peut marcher. Mais d’autre pourraient trouver tout cela lassant au bout de la troisième opération de récupération de touristes allemands qui ont cru que les guerres locales ne les concernaient pas…
En conclusion.
The Company -A Roleplaying game about modern Warfare est un très bon jeu, bien maquetté, techniquement au point offrant un cadre jeu réaliste et solide pour des actions tout aussi réalistes et mortelles.
Son point faible est justement son cadre très bien posé, froid, technique, efficace, qui pose le risque de brimer l’initiative des joueurs et l’imagination du MJ. Ceux-ci devront faire des efforts supplémentaires pour imaginer des aventures intéressantes, dans un pareil cadre. Cela nécessitera sans doute de pas mal cogiter, mais on peut parier qu’en cas de succès le jeu en vaudra la chandelle.
A défaut, il reste toujours la possibilité de réutiliser l’excellente mécanique de jeu en cross-over avec d’autres jeux employant le Basic Roleplaying system. Amis MJ à Delta Green, suivez mon regard…
(1) Les victimes du conflit seront sans doute ravies de l’apprendre…
(2) Personnellement j’ai toujours trouvé que les armes à feu des jeux employant le Basic Roleplaying system manquaient notablement de puissance, je suis donc assez d’accord avec la logique des auteurs de "The Company" qui ont rendu les armes modernes aussi
mortelles qu’elles le sont en réalité, même si cela se fait au détriment de la compatibilité avec les autres jeux employant le Basic Roleplaying system.
(3)
"Rien que le nom m'amuse" (Coluche)
(4) Dont je fais d’ailleurs partie et je vous crotte…