AVEC JOIE ET DOCILITE
Johanna Sinisalo
J’ai découvert ce livre dans une liste de livre qui proposait de la science-fiction ne provenant pas des Etats-Unis et qui ne sont pas écrits par Barjavel. Même si nous n’avons certainement accès qu’aux meilleurs auteurs d’autres pays, chaque découverte d’un nouvel auteur de SF étranger a été intéressant : que ce soit la Dernière journée d’un opritchnik , Des milliards de tapis de cheveux ou le 33ème mariage de Donia Nour, chacun de ces livres a proposé quelque chose d’intéressant, de nouveau et de différent. En tombant sur un livre finnois traduit par Actes Sud, j’étais certain de trouver un livre original et intéressant. Les choix éditoriaux d’Actes Sud, quand ils ne sont pas étranges, sont souvent intéressants. Nous avons la chance d’avoir autant d’éditeurs qui offrent autant de choix de qualité en ce moment.
Finlande, années 2010. Vanna et sa sœur Manna sont des eloïs, c’est-à-dire des jeunes femmes faites pour le mariage et la reproduction. La société finlandaise connait maintenant 4 sexes : les eloïs (reproductrices) et les morlocks (travailleuses stérilisées) pour les femmes, les virilo (hommes faits pour la reproduction et les emplois importants) et les infras (ouvriers). La société finlandaise est une eusistocratie tournée vers la santé et l’épanouissement social. Avec un rôle déterminé, un accès à la sexualité assuré pour tous, l’état a pu interdire les produits nocifs : alcools, drogues, sucre et, à l’heure actuelle, la capsaïcine. Vanna n’est pas une vrai eloï, c’est une morlock qui a l’apparence d’une eloï mais qui est, en réalité, une morlock : elle réfléchit, lit et s’intéresse à beaucoup de chose et, notamment, la science. Mais voilà, une année, alors que sa sœur, une pure eloï, s’amourache de Jare, un saisonnier embauché par sa grand-mère, ce dernier découvre la vérité sur Vanna et finit par entrer dans le complot. Il va d’ailleurs continuer ce rôle quand les deux jeunes filles vont quitter leur campagne pour aller suivre les cours de l’école des femmes de la ville où Manna va épouser un virilo tandis que Vanna va participer au trafic de produits interdits que Jare a lancé pour financer sa sortie du pays. Mais voilà que Manna disparait, qu’on la dit morte et que son mari a été emprisonné pour meurtre pour une durée normale, soit un à deux ans.
Un roman court, efficace, précis qui s’appuie sur des éléments existant pour établir et décrire une dystopie masculiniste qui n’a rien à envier pour sa violence et sa finasse à la Servante écarlate. La dystopie est pourtant plus proche du possible et contraint, nécessairement, à comparer cette histoire à notre réalité : la difficulté de prendre au sérieux les féminicides, la place de la femme, de cette obligation que la société impose aux femmes pour entrer dans des cases et devenir « acceptables ». Il y a des passages amusants, comme le début où la découverte et l’explication du trafic de Jare et de Vanna, l’église écolo qui cherche la meilleure espèce de plante produisant la drogue vendue…
Plus proche de nous que la Servante écarlate, il est peut-être plus difficile de rentrer dans le Avec joie et félicité mais le discours est différent, tout en étant féministe. Si la Servante écarlate dénonce la vision religieuse et politique de la femme et des droits des citoyens, Avec joie et félicité dénonce plutôt la vision sociétale, le besoin des hommes de faire entrer les femmes dans des cases, afin de les maintenir dans un lien de domination. Bien évidemment, cela n’est pas de leur fait, c’est un besoin qui est à la fois traditionnel de concevoir la femme et une réelle différence entre les sexes, voir entre des catégories d’individus. J’ai beaucoup aimé ce petit roman et son ton parfois ironique, mais toujours juste, avec une présentation différente : les sens sont sollicités et le personnage principal perçoit des ambiances olfactives de gens et de situations qui donnent aussi un angle intéressant au livre. A lire.
A noter que j'ai récupéré ce livre d'occasion en format broché. C'est mal. C'est très très mal ce qu'Actes Sud a fait avec ce format qui n'est absolument pas agréable à lire ou à tenir en main, encore moins à ranger.
). Je vais tenter de poursuivre, encouragé par ton compte-rendu. Et aller voir Alexandre l'Orphelin. 
