LA FORMUNE DE DIEU
J. R. Dos Santos
De temps en temps, quelqu’un de mal intentionné me recommande un livre. Comme je suis et demeure un grand naïf, je pense que cette personne est emplie de bonnes intentions et que son conseil est précieux et vient un jour où je lis le livre et où je découvre la vérité. En y repensant, je pense que cette personne n’est même pas mal intentionnée, je pense qu’elle a des goûts des plus discutables parce qu’elle considère que Paulo Coehlo est un grand auteur et que son Alchimiste est un livre merveilleux. Je pense surtout que cette personne a une passion pour le portugais (c’est respectable) et qu’elle ferait mieux de l’apprendre plutôt que de conseiller des livres qui sont peut être au dessus du lot de l’écriture moderne en portugais mais qui sont mauvais, selon des critères plus généraux.
Donc, J.R. (c’est un indice, qui peut décider de porter le nom d’un personnage douteux d’une série douteuse) Dos Santos est un croyant passionné de science et qui pense savoir manier une plume. Alors, pourquoi ne pas écrire un livre qui permettrait de regrouper ses deux passions et qui servirait à démontrer qu’elles sont les deux faces d’une même pièce ? Comme J.R. a opté pour un nom d’auteur original, qui laisse penser à un gros moustachu avec un chapeau de cow-boy portant des chemises aux couleurs vives et une cravate de cow-boy, c’est-à-dire une lanière de cuir tenue par une pièce métallique de fort mauvais goût, il ne peut opter pour un essai. Non, il serait tourné en ridicule et n’en vendrait pas assez pour acheter les puits de pétrole de Bobby. Alors, il se dit qu’il peut aller plus loin dans son adoration du mauvais goût américain en prenant en modèle le seul, l’unique Dan Brown. Mais bon, lui, il n’est pas là pour dire du mal de l’Eglise catholique sinon sa mère ne lui parlera plus. Alors, il va reprendre le squelette d’intrigue que se partagent des gens voués à un cercle spécial des enfers, le livre conspirationniste : un gars qui n’a rien à voir avec rien mais qui est intelligent, il est professeur d’histoire ancienne, de langues mortes et cryptologue, se fait recruter par un service secret d’une puissance étrangère ennemie, disons, l’Iran, par le biais d’une très belle femme qui le séduit. Il accepte de tenter de décrypter un manuscrit inconnu d’Einstein pour des gens qui cherchent, depuis des années, à tromper tout le monde pour construire leur propre bombe atomique. Mais, comme c’est un professeur d’histoire, il ne se doute de rien jusqu’à ce qu’il se fasse convoquer par la CIA qui lui impose de devenir un agent double pour les renseigner sur les progrès des iraniens sur le sujet, parce que le directeur d’une branche de la CIA a espionné une rencontre entre Ben Gourion et Einstein en 1951 à Princeton, au cours de laquelle le premier ministre israélien a demandé au scientifique de concevoir une bombe atomique facile à construire, avant de lui demander s’il pouvait démontrer l’existence de Dieu. A mon avis, si les américains voulaient vraiment des informations, ils demanderaient au Mossad, mais bon, le Moyen-Orient c’est visiblement l’Iran. Alors que l’on vient de détecter un cancer en phase terminale chez son père (oui, c’est comme cela, ça donne de l’épaisseur au personnage) qui, en outre, s’inquiète de la disparition de son meilleur amis, un professeur de physique, il s’envole pour l’Iran et tente d’en apprendre plus sur le manuscrit. Malheureusement, les iraniens ne sont pas complètement stupides, alors ils ne lui donnent que les formules à décrypter parce que, visiblement, les iraniens peuvent construire une bombe atomique mais ne peuvent pas décrypter tout seul une énigme. Il faut comprendre, ils sont un peu cons, aussi. Alors, la CIA décide de voler le manuscrit. Mais comme leurs agents sur place sont avant tout des clod.. des iraniens, ils se font bêtement chopper et le portugais finit dans une prison où on le torture rapidement et gentiment avant que la femme qui l’a recrutée décide de l’enlever et de le renvoyer chez lui. Il rentre en ayant appris que l’ami de son père, dont il sait qu’il a été enlevé par le Hezbollah a été interrogé un peu trop durement et en est mort, sans révéler le secret du manuscrit d’Einstein détenu par les iraniens et nommé, en allemand, la Formule de dieu. L’historien décide alors de se rapprocher de l’assistant du professeur de physique décédé de sa mort, pour vérifier si les iraniens n’auraient pas laissé trainer une trace chez lui. Bingo, notre roi de l’enquête découvre que le professeur de physique entretenait une relation épistolaire avec un lama bouddhiste. Il part donc à Lassa à la recherche du moine tibétain, avant de se faire enlever par les iraniens qui lui révèlent que l’enlèvement en Iran par la belle iranienne n’était qu’un leurre, un piège pour obtenir plus d’informations de sa part, parce qu’ils savaient depuis le début qu’il était un agent de la CIA. Avec l’aide de la belle iranienne, il réussit à échapper aux méchants iraniens en plein Tibet sans jamais remettre en cause la bonne volonté de celle belle femme dont il est fou amoureux et qu’il consommera à emporter dans la voiture. Avec elle, il trouve le lama tibétain qui lui apprend que, avant de redevenir moine, il a été l’un des assistants d’Einstein à Princeton avec son ami portugais. Or, Einstein avait fait une découverte incroyable : la preuve de l’existence de Dieu, qu’il a formulé dans une formule cryptée. Je suis passé allégrement sur les explications scientifiques, historiques, qui vulgarisent à la truelle la physique ou les mathématiques tout en faisant un lien avec la foi et avec Dieu, sans compter l’histoire, avec celle du Tibet (rapide, faut pas déconner non plus, c’est le cœur de la science religieuse, visiblement, mais ça reste un truc du tiers monde). Et là, découverte, la formule de Dieu est bien cela et pas une bombe atomique ! Cela va pouvoir sauver l’historien et la belle iranienne des méchants indiens. L’historien négocie alors avec la CIA (sic) un retour dans son pays (re Sic). Mais à l’arrivée, les sournois américains lui prennent la femme pour l’interroger : l’historien n’ayant pas donné le décryptage de la formule de Dieu, il ne peut pas avoir la femme et celle-ci doit être interrogée sur les recherches atomiques de son pays. Quelle surprise, quel rebondissement, je n’en pouvais plus du stress. Pour que l’historien puisse décrypter la formule d’Einstein, il doit comprendre les recherches faites par ses assistants : en effet, le lama a indiqué que la Formule de Dieu d’Einstein ne pourrait être révélée qu’une fois trouvée deux autres moyens de prouver l’existence de Dieu. L’historien connait les fruits de la recherche du moine, une vision mystique expliqué à l’aune de résultats scientifiques, qui lui ont révélé que l’univers dansait au rythme de la danse de Shiva. Et qu’Einstein avait prouvé que les 6 jours de la Création sont juste si on applique les règles de la relativité, un jour représentant des durées plus ou moins longue selon que l’on se trouve près de l’origine du Big Bang ou que l’on s’en éloigne. Mais les chiffres sont clairs, la Bible a raison, le monde a bien été créée en 6 jours relatifs. Reste maintenant la preuve scientifique. Alors que l’historien travaille difficilement sur le projet, il est informé par les américains que la CIA va restituer la belle iranienne aux représentants de son pays et qu’il n’a plus que 15 heures pour trouver la solution de l’énigme s’il veut éviter cela. Pour pouvoir avancer, l’historien doit comprendre ce qu’a trouvé le professeur décédé. L’assistant du professeur disparu va lui expliquer l’approche scientifique qui arrive à la même chose. Me demandez pas de vous l’expliquer, je n’ai rien retenu, j’attendais juste que le livre se termine ou qu’une bonne âme achève mes souffrances. Bref, il explique que c’est bon, le professeur disparu allait communiquer là-dessus et paf, il est mort, comme le chien. Mais au cours de cette discussion, l’hôpital appelle : le père de l’historien est en train de mourir. Et, sur son lit de mort, sans réelle raison, il lui révèle que l’assistant de son ami a distribué des choses qu’il voulait cacher pour éviter qu’elles ne disparaissent ensuite de la disparition du professeur et du manuscrit d’Einstein et que lui a reçu une enveloppe contenant le prénom d’Einstein et deux alphabets bizarres. Une relique sans intérêt, donc. Sauf que, boum, la tête de l’historien explose et il sait qu’il a la solution à portée de main. Lorsque son père est enterré, l’historien est rejoint par les américains et la belle iranienne. Comme ils ne peuvent pas faire du sexe devant tout le monde, ils s’embrassent juste avant de révéler aux américains qu’il n’a pas la Formule de Dieu mais qu’ils vont pouvoir la décrypter ensemble. Après une énième longueur inutile autour du décryptage du texte qui montre l’intelligence et le professionnalisme du héros, bim, la révélation finale : regardez dans la Genèse, que la Lumière soit ! L’historien a une révélation : Einstein a compris le sens de la vie, de l’univers et de tout le reste : les hommes sont apparus pour créer Dieu, un superordinateur qui pourra faire les calculs et, ainsi, créer le prochain univers à la disparition de celui-ci. L’américain comprend la puissance de la révélation, ils sont tous changés à jamais, prêts à arpenter le chemin du reste de leur vie où ils pourront réellement se trouver.
Comme l’auteur pense qu’il est un poil trop intelligent ou son livre trop mal écrit, il fait un épilogue pour nous présenter, en condensé, ce qu’il a mis bien trop de pages à nous expliquer. Ce n’est pas plus intéressant, mais c’est plus court, je pense qu’on aurait dû en rester là au niveau de la publication.
Ce livre est donc l’un de ces infâmes textes qui reprennent le schéma à la mode, comme Lovenbruck dans « l’Apothicaire » à propos des gnostiques ou Esbach dans « Jesus Video » bien que ce dernier soit le moins pénible des trois même s’il contient les mêmes passages obligés. Si j’étais assez maso pour lire du Dan Brown, je ne serai pas surpris d’y retrouver la même construction, les mêmes schémas.
C’est mauvais.
Le fusil de Tchekhov est enrayé : la moitié des choses qui sont développés (la mère et le père, la belle iranienne…) n’ont strictement aucun intérêt dans le cadre du roman. C’est un peu comme si un réalisateur de décors se disait qu’il pouvait parfaitement construire des décors pour Iphigénie ou Roméo & Juliette uniquement avec du carton marron, du scotch et des stabilos ou une recette de Chef Club. C’est lourd, ça pèse sur l’estomac et on se demande si on avait réellement si faim que cela pour avoir osé manger tout ça.
Bref, à moins d’être un fan inconditionnel des auteurs portugais de seconde zone (si vous en avez des biens de qualité, je prends) ou de trouver que l’Alchimiste est le meilleur roman que vous avez lu depuis 25 ans, passez votre chemin et soyez avertis : J.R. DOS SANTOS, le JR lusitanien a écrit pléthore de livres que vous pouvez écouter le jour où vous voudrez vraiment passer à l’acte mais que vous sentez une petite faiblesse dans votre certitude de vouloir vous donner une mort certaine.