MARTIENS, GO HOME
Frederic Brown
Encore l’une de mes nombreuses madeleines de Proust, un livre que j’ai lu à l’adolescence et qui s’est, avec le temps, vu élever un piédestal pour célébrer la grandeur des œuvres du passé, de celles qui restent dans les têtes et dans les cœurs. Un livre qui me parait assez parfait pour faire découvrir à ma fille de 12 ans la SF classique. Alors, avant de lui donner, pour pouvoir discuter avec elle et vérifier que je ne lui mets pas dans les mains un livre incompréhensible, je l’ai relu.
Luke Devereaux est un auteur de science-fiction qui traverse une passe difficile : il vient de divorcer, même si le jugement n’est pas définitif ; il a perçu une avance de 500$ sur son prochain livre, sur lequel il n’a rien écrit. Avec quelques dizaines de dollars en poche, il part s’installer dans une résidence secondaire perdue au milieu de nulle part pour essayer d’écrire ce livre, mais sans succès. Jusqu’à ce que, un jour, on frappe à la porte et qu’entre dans la maison un petit être tout vert qui se met à l’invectiver. Les martiens sont arrivés mais ils sont très différents de ce que l’on a pu imaginer jusqu’ici. Ils ne sont là que pour générer du chaos, se moquer des gens et révéler tous les secrets sur lesquels ils peuvent mettre la main, changeant la face du monde pour longtemps. D’ailleurs, la première victime de cette arrivée est le monde du spectacle : plus rien ne peut être filmé, joué, enregistré en raison de la présence de ces individus. Seule demeure la lecture et les gens sont lassés de la science-fiction. Aujourd’hui, ils se tournent vers les romans de western, un style que Luke Devereaux a pratiqué par le passé. Et quand il doit se mettre devant sa machine à écrire, l’inspiration revient toute seule.
J’avais le souvenir d’un livre drôle, délirant, bien trouvé avec une vision différente des martiens de celle de la SF de la même époque. Contrairement à ceux de Bradbury, ils ne sont pas réellement inquiétants, ils font des blagues et sont grossiers. Seule leur présence constante et leur capacité à s’immiscer partout génère des crises de folie ou de violence.
Aujourd’hui, je me dis que ce livre a bien vieilli. Alors, certes, c’est un roman de science-fiction du passé (écrit dans les années 50, il se passe dans les années 60), mais malgré tout, il n’est plus vraiment un livre drôle. Que l’on ne se méprenne pas : c’est un livre agréable à lire, le plaisir intellectuel est là, on voit à peu près qu’il est l’une des grandes inspirations si ce n’est l’inspiration principale de Mars Attacks ! de Burton, mais malgré tout, éh bien, d’autres auteurs comiques sont passés par là et ont élevé le niveau de jeu.
Dans la SFFF humoristique, je classe, à un haut niveau, le Guide du routard galactique et, bien évidemment et comme tout le monde, les écrits de Sir Terry Pratchett. Douglas Adams et Terry Practchett ont redéfini les codes du genre, le niveau d’humour, les réflexions qui motivent l’humour en question et, quand ils se moquent de l’armée, des militaires, des politiciens, ils le font avec une telle finesse que toute comparaison devient rapidement difficile.
Donc, science-fiction burlesque, oui : rien n’est sérieux dans ce livre, les martiens sont une sorte de blague géante qui font eux-mêmes des blagues géantes. C’est plaisant à lire mais facile dans la narration, pour ne pas dire un peu téléphoné. Agréable pour passer un moment sympathique, la lecture est rapide et peut se faire sur une soirée un peu longue ou un après-midi pluvieux ou à la plage. Pour le thème et pour la culture SF, c’est un livre à lire. Pour rire, il vaut mieux, amha, penser à prendre sa serviette ou se décider à aller rendre visite aux habitants d’Ankh-Morpork ou explorer les couloirs oubliés du grand magasin Arnold Frères.