
Bree décrit la ville, proche du Comté, où se rendent les hobbits au cours de leurs premières péripéties dans Le Seigneur des Anneaux. On y trouvera notamment la description de la fameuse auberge du Poney fringant, mais aussi les villages voisins, où hobbits et humains coexistent au sein d’une culture distincte de celle du Comté et des royaumes des hommes. Le cadre décrit n’est pas énorme, mais le supplément est équilibré par la présence de trois scénarios (dont deux bien fournis) qui peuvent se jouer indépendamment ou former une mini-campagne. Pas besoin, donc, d’acheter un second supplément pour avoir des scénarios, comme c’est le cas dans le reste de la gamme : Bree est intéressant pour les Semi-hommes mais aussi pour les petits budgets !
La région de Bree offre une zone de jeu intermédiaire entre le paisible pays des hobbits et les terres sauvages où le péril rôde derrière chaque buisson. D’un côté, il y a davantage d’humour que dans les parages de la Forêt noire, et les personnages lorgnent vers le comique social (un peu comme les hobbits avec leurs allures de bourgeois anglais). C’est une contrée du banal, qui ignore superbement la réalité et l’ampleur des dangers qui s’amassent sur la Terre du Milieu, et où l’on va souvent jusqu’à mépriser les Rôdeurs qui maintiennent à distance orques, gobelins, brigands et autres spectres. De l’autre, eh bien, le danger reste présent, mais plus sournois : il ne se contente pas de se terrer dans les tombeaux et les ruines aux alentours des villages : l’Ombre peut naître dans les maisons, dans les petites mesquineries, les rivalités et les haines larvées, qui gangrènent la société et corrompent certains villageois, que les agents de l’Ombre n’ont plus qu’à mettre dans leur poche pour faire avancer leurs pions. Le résultat est une ambiance bien distincte, en demi-teinte, pas forcément facile à rendre.
Personnellement, j’ai trouvé le résultat satisfaisant et bien des pages m’ont remémoré avec plaisir l’espèce d’entre-deux des premiers chapitres de la quête de Frodo et des hobbits. Rien que l’histoire et la description détaillée du Poney fringant offre une belle base d’aventures, mais le plan de Bree est tout aussi inspirant : rien de plus facile, ensuite, que d’imaginer cette paisible bourgade assaillie ou infiltrée par l’Ombre, avec les PJ au milieu. Les autres villages et lieux-dits, chacun avec sa physionomie particulière, fournissent de belles occasions, en particulier pour des PJ hobbits, humains ou elfes. La culture des Hommes de Bree permet de créer des personnages mieux en accord avec la région que des hommes des bois ou des Béornides.
Le chapitre « Une terre vide » est celui qui m’a le plus surpris : il passe beaucoup de temps à pourfendre des préjugés (Bree serait inintéressante, sa région serait vide et peu propice aux aventures) que je n’avais pas. Autant supprimer ça et consacrer directement toute la place à décrire des pistes d’aventures. En dehors de cette approche inutilement apologétique, le chapitre se révèle inspirant.
Il ressort à la lecture que la région de Bree se prête très bien à des personnages débutants, dont Bree et ses environs seraient la base de départ avant de s’éloigner de plus en plus vers les terres sauvages. Elle me paraît bien plus adaptée à des personnages hobbits ou Hommes de Bree (ou, à la rigueur, des elfes du coin), pas encore confrontés aux contrées lointaines et à l’Ombre.
Les trois scénarios qui occupent plus de la moitié du supplément en sont une bonne démonstration. « Le Tibia de l’oncle Tim » (qui puise son inspiration dans une chanson sur Tom Bombadil, mais se focalise sur le troll – et sur les histoires d’os) est une aventure un peu linéaire, mais qui (justement) me paraît bien adaptée à des PJ débutants. Elle pourrait faire un bon scénario d’introduction, en veillant à ce que l’opposition ne soit pas trop mortelle. J’ai apprécié les personnages nuancés des hobbits (avec leur part d’ombre) et le fait que la partie « chasse au trésor » ne donne justement pas lieu à un donjon. Un groupe vétéran risque d’être un peu agacé par la linéarité du machin, mais ça peut se bricoler facilement. Bref, c’est un scénario autonome très honnête, avec quelques accroches pour le relier aux deux suivants si on veut.
« Étranges hommes, étranges routes » est un très bon scénario, plus exigeant tant envers les PJ qu’envers le ou la MJ en raison de sa (belle) galerie de PNJ à faire vivre et de sa structure plus ouverte. Les informations restent très bien organisées et devraient faciliter la préparation de la partie. Certains personnages, notamment Berelas, ont un grand potentiel pour devenir de belles figures tolkieniennes, tout en nuances et avec un destin qui peut tourner au tragique. Il y a peut-être quelques ficelles de drame un peu faciles et génériques dans les histoires d’autres PNJ (Mirabar, Vogar), mais c’est pour pinailler. Seul réel manque à la lecture : une créature magique, qui peut apparaître à plusieurs reprises, peut techniquement être tuée par les PJ, et le scénario ne dit pas ce qui se passe s’ils arrivent à la tuer : ne réapparaît-elle plus les fois suivantes où elle serait supposée le faire ? Réapparaît-elle quand même ? Si oui, est-elle affaiblie ? Les MJ devront trancher avant de lancer la partie pour ne pas se trouver pris de court.
Le scénario peut déboucher sur une grande bataille épique à laquelle les PJ peuvent assister, à défaut d’y participer. Même si une justification est fournie expliquant pourquoi les PJ ne peuvent pas y prendre part, cela reste un peu frustrant à la lecture… d’autant que le scénario suivant décrit entièrement les suites de la bataille. Bref, il faut faire bel et bien vivre cette bataille aux PJ ! Deux solutions à mes yeux : 1) soit la présenter comme une « cinématique » où les PJ sont avant tout des témoins (un peu comme Bilbo pendant la Bataille des Cinq Armées dans Le Hobbit), et mettre l’accent sur le fait qu’ils se trouvent confrontés pour la première fois à un conflit d’ampleur, avec des personnages puissants, des enjeux importants qu’ils découvrent, etc., bref, le côté initiatique. 2) soit laisser les PJ participer effectivement à cette attaque, mais en leur attribuant un objectif secondaire, plus à leur portée que le but principal de la bataille qui réclame l’intervention de figures puissantes de la Terre du Milieu que les PJ ne peuvent pas espérer égaler tout de suite.
Dans tous les cas, il manque quelques pages pour décrire le lieu de la bataille avec son plan, le détail des forces en présence et les grandes étapes de l’attaque. Cela demandera un peu de travail aux MJ, mais ce n’est pas infaisable, d’autant que les principaux « méchants » de l’endroit et leurs profils techniques sont fournis dans le scénario suivant.
« Une fleur haute comme trois pommes » est le plus court des trois scénarios. Son principe et son ambiance m’ont beaucoup plu, et on comprendra bien leur ambition en se souvenant de l’atmosphère très particulière propre à la fin du Seigneur des Anneaux, quand les hobbits reviennent dans le Comté. C’est dans cet esprit-là qu’il faut lire et jouer ce scénario à mon avis. Les ficelles proposées sont pleines de potentiel, tout comme les adversaires des PJ. L’ensemble offre une adversité particulièrement retorse et (je trouve) typique des formes que l’Ombre peut prendre dans la région.
Les problèmes posés par ce scénario ne viennent pas de son intrigue, à mon avis, mais de la manière dont il faut y impliquer les PJ. D’une part, si les PJ jouent ce scénario sans avoir joué la bataille qui le précède, l’enjeu perd beaucoup de son ampleur et les PJ vont avoir l’impression qu’on leur refile un repas de restes après les avoir privés du plat principal. D’autre part, je trouve que l’enjeu devient beaucoup moins important si les PJ sont des étrangers à la région. Il vaut beaucoup mieux qu’au moins une partie des PJ soient originaires du lieu où se déroule ce scénario, voire qu’ils y aient déjà passé du temps de jeu et se soient liés avec ses habitants, pour que les périls qu’ils découvriront éveillent l’émotion recherchée.
Un dernier point à préparer : au début, le scénario part du principe que les PJ vont partir dans une certaine direction, mais ne fournit pas assez de conseils sur ce qu’il faut faire s’ils vont ailleurs. Rien d’insurmontable, mais, là encore, des MJ débutants devront prêter attention à ça en préparant la partie, pour ne pas se trouver pris de court.
Malgré ces quelques limites, ce supplément m’a paru former une bonne adaptation des livres de Tolkien, et offrir de quoi y passer des heures de jeu prenantes. L’ensemble est rédigé d’une plume alerte, abondamment et joliment illustré (seul le dessin du Vieux Troll, bien trop donjonnesque à mon goût, m’a déçu, mais ça ne concerne qu’une illustration sur plus de cent pages). Sans être indigne, le nombre de coquilles est plus élevé que dans le Guide des Terres sauvages par exemple, et il s’y ajoute quelques candeurs de traduction ici ou là (ah, le piège des traductions mot à mot…) ; mais ça n’a pas beaucoup gêné ma lecture.
À mes yeux, Bree est à utiliser avec des personnages de hobbits ou d’Hommes de Bree, pourquoi pas conjointement avec la boîte d’initiation de la deuxième édition qui décrit le Comté. C’est avec ce type de personnages que l’ambiance de la région est la plus facile à rendre. Avec des aventuriers déjà chevronnés, ce sera plus difficile à mettre en place, mais les scénarios donneront de quoi faire à n’importe quel groupe de PJ.