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[Que s’est-il passé entretemps à l’hôpital ? Amos a-t-il été embêté par la police ? 5, oui, 14 Mais, 6 Aïe ! Il devait donc s’agir de l’autre agent, blessé, qui a cherché un responsable à la mort de son collègue. Amos a-t-il su le convaincre que ce n’était pas lui ? Influence, Clés : Enquêteur prudent, Effacer ses traces, 2+2=4 ! L’agent lui a passé les menottes. On dirait bien que la suite va se jouer au poste.]
Ce qui devait arriver arriva. Ils m’ont mis le grappin dessus. Ils me tiennent. Comment aurait-il pu en être autrement ? Cette apparition mystérieuse, dont j’ai cru qu’elle venait supprimer le témoin gênant que Grüber était devenu, n’était en réalité là que pour me pousser à la faute. La mort de Grüber aurait sans doute été un plus ; ils auraient pu me la mettre sur le dos. J’aurais au moins empêché ça.
Je n’ai droit qu’à un coup de fil. Qui ? Pas Zack, il me reprocherait de m’être fait pincer et dénierait toute intervention. Je n’ai plus personne. Dans ma poche, le papier griffonné du numéro de Beth. Je le compose. Répondeur.
« Allô ? C’est Amos. Je suis au poste. Ils m’ont eu. J’étais à l’hôpital pour tenter de les empêcher de tuer Grüber, notre assassin. Herman Grüber, G, R, U tréma, B, E, R. J’ai mis l’assassin en fuite, on dirait bien que ça devient ma spécialité. Mais il y avait un agent de police sur le carreau et pas d’autres coupables que moi dans les parages, l’occasion idéale de me coffrer. Essayez de votre côté de savoir d’où vient ce type, ils m’ont pris mon portable. »
[Voilà qui me permettra de dépenser les deux fluides en banque concernant Grüber.]
De retour en cellule, je suis rapidement conduit dans le bureau du capitaine Alvarez qui m’expose les faits. Il s’étonne que je sois parvenu à retrouver Grüber et cherche à savoir comment mais, en bon journaliste, je lui explique que je ne dévoilerai pas mes sources. Il dit comprendre mon acte, un désir de vengeance, c’est tout naturel. Moi, je comprend vite sa stratégie, il veut me faire passer aux aveux le plus vite possible et fait semblant d’être de mon côté. Je réfute, parle de regrettable accident, indique que j’ai fait fuir un assassin. Il secoue la tête. Ce ne sera pas si facile. Il a observé les bandes des caméras de surveillance. On me voit très clairement m’emparer de l’arme d’un policier et tirer dans la chambre, provoquant l’envolée d’un extincteur qui percute l’agent au sol. Mais dans la chambre : rien. Grüber se dresse soudain dans son lit. Il a l’air paniqué mais il est seul. Je suis cuit. Mon seul atout : quand toute cette scène commence, quand les deux policiers sont projetés au sol et contre le mur, je suis encore loin, au bout du couloir. J’essaye de faire valoir cet élément. Il entend bien mais juge que ce n’est pas suffisant pour me relâcher. J’aurais pu poser un engin explosif auparavant, dit-il. Il m’annonce qu’il demande mon incarcération à la Prison centrale, dans l’attente de mon procès.
[Beth va-t-elle arriver avant le transfert vers la prison ? 5, oui. Aura-t-elle trouvé quelque chose susceptible de tirer Amos de ce mauvais pas ? 5, oui. Un avocat ? 4, oui.]
[Voyons voir de qui il s’agit : un homme, plutôt laid, moustachu, tiré à quatre épingles, vêtu d’un chapeau, lancé en politique. Un vieil ami à elle.]
À ce moment, une grande commotion se déclenche dans le commissariat, dont les échos à peine étouffés par les cloisons trop minces nous parviennent jusque dans le bureau du capitaine. Un homme d’une soixantaine d’années déboule, un impeccable manteau d’astrakan sur les épaules, le fédora vissé sur la tête. Il louche fortement derrière ses lunettes épaisses et brandit vers Alvarez une pipe maniée comme un couteau.
« Capitaine ! Relâchez immédiatement mon client. Vous êtes en infraction de tant de lois qu’il vous faudrait reprendre vos études et cette fois dépasser le cours élémentaire pour les compter !
— Maître Sinclair, allons bon… Vous n’êtes pas en campagne ? Les élections approchent !
— Persifleur ! Si vous et vos agents mettiez autant d’énergie à faire correctement votre travail qu’à persécuter des innocents et dédoubler votre graisse abdominale, je serais maire depuis dix ans ! En attendant, je continuerai à sortir moi-même de vos bourrelets ces malheureux. Vous essayez d’extorquer à mon client ici présent des aveux hors de la présence de son avocat. Par ailleurs, vous devez me communiquer toutes les pièces du dossier dès maintenant.
Fasciné par l’éloquence et la diction de maître Sinclair, j’ose à peine intervenir. Que fait-il là ? Qui l’envoie ? C’est alors que je remarque derrière les vitres dépolies la silhouette floue de Beth emmitouflée dans une fourrure. Elle discute avec un homme qui pourrait être Lacroix. Je me contorsionne sur mon siège mais la conversation véhémente de l’avocat et du capitaine couvre totalement la discussion feutrée à quelques mètres de là. Je vais me lever quand arrive sur la table la question du mandat de dépôt.
— Hors de question ! plaide Sinclair. Mon client dispose de toutes les garanties pour rester libre dans l’attente d’une éventuelle assignation à comparaître qui, croyez-moi, ne viendra jamais. Son innocence sera démontrée bien avant.
J’hésite à intervenir. J’observe Alvarez en détail, l’ausculte et soudain, je vois. [Enquête. Clés : Troisième œil, secrets honteux. 7+2=9, deux indices, mais ils seront flous. Je choisis : quel secret honteux le capitaine Alvarez cache-t-il ? Réponse : il n’est pas au-dessus de toute corruption. J’enchaîne avec: Qui le paye sous la t able? Réponse : quelqu’un de haut placé à l’hôtel de ville.] Je lis la corruption sur son visage. Je sens l’odeur de l’argent sale passé dans sa patte graisseuse, entre ses doigts boudinés. J’entends les arguments frelatés de politiques véreux, sur son avancement, sa carrière, sa retraite. Mais les visages sont flous et les gestes ambigus. Je choisis de me taire pour le moment. Son tour viendra au tribunal du Vrai.
— Silence ! finit par beugler Alvarez, exaspéré. C’est au juge de la détention de décider d’une mise en liberté sous caution. En attendant, il file au dépôt !
Sinclair pose une main sur mon épaule avant de tourner les talons en déclarant :
— Vous vous en mordrez les doigts, capitaine ! »
Je me lève en même temps qu’Alvarez qui me guide dans le couloir, où Beth se fend d’un large sourire à ma vue. Elle me fait un clin d’œil et dit : « J’ai appris plein de belles choses sur Grüber. Courage ! Vous ne resterez pas longtemps en prison, je vous le garantis. » Je lui rends son sourire du mieux que je peux. J’aimerais partager sa certitude. Quelques secondes plus tard, la lourde grille de la cellule se referme sur moi. Ce soir, je dormirai en prison. Dormir : ce sera déjà ça.
[Temps calme : l’épaule se guérit et l’État correspondant disparaît. En revanche, Amos est toujours — plus que jamais — hypnotisé-2.]
*
Sinclair a réussi à obtenir ma libération sous caution, il a même avancé la somme. J'imagine que je dois cette faveur à sa volonté d'apparaître comme un infaillible justicier aux yeux des électeurs, mais je ne vais pas m'en plaindre. Grâce à lui, et à Beth, je n’aurais passé que trois jours en prison. Trois jours particulièrement désagréables. Beth est venue me voir au parloir hier, pour m’apprendre quelques détails intéressants de la vie de Grüber. [C’est le moment de dépenser mes deux indices encore en cours. Première question : pour qui travaille-t-il ? Réponse : Hector Bark. Deuxième question : pourquoi voulait-il se débarrasser de Beth ? Réponse : Beth avait « lu » des choses en lui lors de son spectacle.]
Tout d’abord, son employeur : un certain Hector Bark, industriel récemment passé en politique. Il faudra se renseigner sur lui et, ça tombe bien, maintenant que je suis libre, je n'ai rien de mieux à faire que de touiller, à l'ancienne, les tréfonds incestueux de la politique et de la pègre. Je ne connais pas ce Bark, ce qui prouve déjà un point important : sa carrière politique est météorique ; une arrivée récente et pourtant très discrète, ce que j'appelle dans mon jargon le cocktail d'accueil du criminel.
Ensuite, Beth s’est rappelée, fouillant ses souvenirs et les photographies de son agresseur, que Grüber avait assisté à son spectacle à de nombreuses reprises. Il avait même laissé plusieurs bouquets de fleurs à son intention, dont elle n’avait jamais élucidé la provenance avant de connaître son nom. Et puis, il y a quelques jours, elle l’avait fait monter sur scène et, dans un état de transe extatique, avait annoncé à toute la salle que ce monsieur Herman Grüber savait des choses sur l’attentat du Harper’s Bazar, qu’il était rongé de culpabilité et effrayé par la perspective d’une punition. Il l’avait très mal pris et avait quitté la salle au beau milieu du numéro. Le lendemain, elle recevait une lettre d’un autre spectateur : Eduardo Calderon, qui lui expliquait qu’elle avait le pouvoir de sauver un innocent de la prison. Il lui demandait ce qu’elle savait de l’attentat, l’enjoignait de parler à la police, aux journaux, à tout le monde. Elle l’avait reçu dans sa loge et ils avaient longuement discuté. Elle avait dû lui avouer qu’elle ne savait rien de toute cette histoire. Qu’il y avait de fortes chances pour que tout ça ne soit guère plus qu’une coïncidence. Qu’elle était une artiste, pas une voyante. Qu’elle ne savait rien de l’avenir. Eduardo ne l’avait pas crue. Il avait continué son enquête de son côté, jusqu’à son triste dénouement.
C'est le moment de lui rendre justice. Avant même d'avoir pris le temps de remettre les lacets de mes chaussures, je monte dans le 219 qui m'amènera Downtown.
[Est-il surveillé ? 6, oui ! La caméra reste sur place tandis qu'Amos s'engouffre dans le bus qui démarre vers le lointain. Puis elle pivote de l'autre côté de la rue, où deux hommes en costumes gris à l'avant d'une vieille Ford démarrent.]