LE NAUFRAGE DU GOLEM
Quand une ancienne civilisation ayant fui Millevaux par la voie des airs envoie une expédition de reconnaissance des générations plus tard. Suite de la campagne Millevaux multi-systèmes en solo par Damien Lagauzère, de plus en plus vertigineuse.
Jeu principal utilisé pour cette séance :
Terres de Sang est Millevaux, supplément Millevaux pour le jeu de rôle Terres de Sang d'exploration exotique et intime, par Simon et Manon Li
Cat Rocketship, cc-by-nc, sur flickr.com
Épisodes précédents de la campagne :
1. La forêt du dessous (CSMS)
Quand les souterrains deviennent cavernes et les fantômes deviennent horlas. Un crossover Poltergeists / Millevaux
2. Traqué par les capuches blanches
Une course-poursuite mortelle qui débouche vers l’enfer souterrain du jeu de rôle Cœlacanthes !.
3. Je suis d’un autre monde
L’agent Haze confronté à un serial killer originaire de Millevaux dans un imbroglio onirique des plus déroutants. Troisième épisode de la campagne Millevaux solo multi-systèmes de Damien Lagauzère.
5. Sous la coupe des horlacanthes
Damien Lagauzère poursuit sa campagne Millevaux solo multi-système avec l’un des scénarios les plus éprouvants de Coelacanthes !
6. La folie de ma sœur.
Une incursion funèbre et enfiévrée dans la mémoire d'une défunte.
7 Celle qui ne pouvait pas être là
Retour dans le monde contemporain, avec une prise d'otages orchestré par un forcené étrangement connecté à la forêt de Millevaux !
L’histoire :
Il y a très longtemps, une partie de l'humanité a réussi à se protéger de l'apocalypse forestière et de sa folie. C'est in-extremis que ces survivants se sont réfugiés dans une flotte de zeppelins et montgolfières pour fuir l'expansion de Millevaux. Au fil des décennies, la flotte s'est stabilisée au dessus de la mer et s'est accrue de nouveaux engins. Au début, de simples ponts de cordes les reliaient. Puis, au fil du temps, des ponts de bois remplacèrent les cordages. Des plate-formes furent aménagées. On construisit des bâtiments de plus en vastes et confortables. La simple flotte était devenu une vaste cité volante. Elle tirait sa subsistance pour l'essentiel des produits de la mer. Puis, peu à peu, on réinventa la roue à aube, la machine à vapeur. On construisit des systèmes de désalinisation et d'irrigation. On vit apparaître des espaces agricoles, puis des jardins. Les habitants de cette citée ont le sentiment d'avoir été abandonnés par leurs dieux. Et les nouveaux dieux, ceux de Millevaux, sont leurs ennemis. Ne devant leur survie qu'à eux-mêmes, ils croient avant tout en l'homme et en la science et ces considérations teintent même leur spiritualité qui pend le plus souvent la forme de l'alchimie médiéval mâtinée de science à vapeur. Bien que vivant dans le confort, tous ont confiance de leur fragilité face à la nature. Aussi, la solidarité est très forte. Chacun fait sa part et chacun sera là pour autrui, pour préserver la cité et sa population. La plupart des conflits sont d'ordre scientifique ou philosophique. Il n'y a que peu de criminalité. Toutes les volontés et les énergies sont tournées vers les mêmes buts communs. Les décisions les plus importantes sont prises par un conseil de sages dont une partie est élue et l'autre tirée au sort. Élection et tirage au sort ont lieu respectivement tous les 4 et 6 ans.
Après des décennies à vivre aussi loin que possible de la forêt maudite, une expédition a pourtant été décidée à des fins d'observation. Pour des raisons très différentes, une écrasante majorité de la population est aujourd'hui animée d'une grande curiosité à l'égard de cette forêt que leurs ancêtre ont fui. Aussi, a-ton affrété une flottille de zeppelins et autres ballons chargés de matériels d'exploration afin de dresser un portrait de cet endroit qui, à tort ou à raison, n'apparait plus comme aussi effrayant que jadis.
Ce ne sont donc pas moins de 13 ballons de toutes sortes qui font route vers le continent dévasté. Tout s'annonçait pour le mieux jusqu'à ce que...
Roger se réveille la tête dans la boue. Il se relève et s'examine. Il constate qu'il n'est pas blessé. Roger ne ressent pas la douleur. Roger n'est pas un être humain. Il est un homoncule. Une sorte de golem. Un être artificiel composé de chair et de boue. Émergé ainsi de la terre semble pour lui comme une seconde naissance. Il regarde autour de lui. Des ballons déchirés sont accrochés dans les arbres. Les débris des nacelles éclatées sont répandus partout au sol. De l'ensemble de l'équipage, il est seul debout. Il se dit que c'est normal. Au sein de cette expédition, c'est lui l'homme fort, le porteur, le garde du corps. Il tente de reconnaître un visage amical parmi les corps les plus proches. La plupart sont méconnaissable .de vulgaires marionnettes désarticulées, mutilées et ensanglantées. Une vague de tristesse l'envahit. Il ferme les yeux et invoque ses Augures. La Horde de Cœur et de Sang. L'essaim aux Mille Mains et aux Milles Visages. Et pourtant, il est seul., comme toujours. L'homme marche seul face à la mort. De notre naissance à notre fin, nous sommes toujours seul. Ainsi va le monde. Roger est plus seul que jamais. Mais, est-ce grâce à ses Augures ?, cette solitude ne lui pèse pas. Il n'a aucune idée de ce qui a pu provoquer la chute de toute la flotte. Est-ce l'influence maléfique de Millevaux ? Roger regarde le ciel. Il ne voit pas sa cité, évidemment.
Roger commence par rassembler en un même endroit tout ce qui lui semble récupérable et utile parmi les débris. Il rassemble ensuite de quoi faire du feu et se construire une petite cabane. Il a trouvé des restes de nourritures. De la viande séchées, des fruits, des Noix. Pour l'instant, il se sent bien. Est-ce parce qu'il est composé en parti de terre et d'herbe, il sent comme une résonance entre lui et son environnement. Il a le sentiment d'être tout autant un étranger qu'à sa place. Demain, il partira à la découverte de ce nouveau monde. De son nouveau « chez lui », de Millevaux.
Il finit par s'endormir malgré un léger bourdonnement au fond de son crane. Plusieurs fois durant la nuit, il a l'impression de ne pas être seul. Il entend des voix. Autour de lui, on parle. Quelqu'un évoque un hôpital. Le n°13. Trouver le n°13. Il doit trouver le Patient 13. Demain...
Roger se réveille de plutôt bonne humeur malgré la catastrophe dont il est l'unique survivant et le froid intense qui règne ce matin. La solitude ne lui pèse pas. Au contraire, il a le sentiment qu'être seul désormais le rend plus... disponible pour l'ensemble de son environnement. Il sent paradoxalement, en raison de sa nature d'homoncule, tout à la fois en état d'altérité totale et partie prenante, une composante même de cette forêt. Après avoir mis un peu d'ordre dans son campement de fortune, il décide de partir à la découverte de son nouveau chez-lui.
Après une petite heure de marche, Roger découvre un ensemble de 7 chalets en bois, ou plutôt ce qu'il en reste. Ils sont en effet à l'abandon depuis manifestement longtemps. La plupart des toits sont effondrés. Ils sont tous envahis par la végétation. Tous ? Non... Ce chalet est certes lui aussi à l'abandon mais, pourtant, il est épargné par la végétation. Roger entre.
À l'intérieur, il règne une odeur étrange et indéfinissable. Toutefois, elle n'est pas désagréable. Il y a là plein d'objet que Roger devine destinés à un travail scientifique mais il est incapable d'en identifier le moindre. Pourtant, certaines de ces machines lui donnent l'impression de pouvoir encore fonctionner. Il trouve des livres et des brochures mais tous sont rédigés dans une langue qu'il ne connaît pas. « la Langue Putride... » lui murmure dans la tête la même voix que la veille. Par réflexe, Roger se retourne, mais il sait bien qu'il est seul dans ce chalet. Il sent alors monter en lui un sentiment de colère. Il a le sentiment d'avoir perdu quelque chose. Mais quoi ? Il avait découvert quelque chose, récemment... Et il l'a perdu ! Sa mémoire lui jouerait-elle des tours ? Et si... Il examine alors ses poches. Un entrelacs de fil de fer enserrant une bille de verre sombre. Un talisman. Roger le porte devant ses yeux. Il y a quelque chose dans la bille, mais quoi ? Cela semble bouger. Une forme longue et annelée. Un... ver ? « Ta mémoire... » lui souffle la voix. Roger se sent alors en proie à une soudaine migraine. Il regarde autour de lui. Rien, hormis tout cet attirail dont il n'a aucune idée de la fonction. Il y a encore quelques minutes, il envisageait d'appuyer sur quelques boutons, juste pour voir. Mais maintenant, il veut juste quitter ce chalet. Il se met à courir et s'assomme en percutant un mur de rondins.
Quand Roger reprend conscience et sort de ce chalet, la lune est pleine mais à moitié cachée par les nuages. Les étoiles brillent. Certaines plus que d'autres. Il sent, il sait qu'il y a là un message mais il est incapable de le comprendre. Alors, la solitude lui pèse. Il aurait besoin d'un compagnon pour l'aider. Son créateur ? Il est resté dans la cité flottante... ou bien est-il mort dans le crash de l'expédition ? Il ne sait plus. Il tente de retrouver son calme en se concentrant sur ses Augures. La Horde de Cœur et de Sang. L'Essaim aux Mille Mains et aux Mille Visages. Lui qui s'est toujours senti si seul... et qui aimait ça... Ici, c'est ici qu'il va apprendre, qu'il doit apprendre à faire parti d'un tout. Il s'accroupit et plante ses mains dans la terre. Il ressent un vague fourmillement. Il se passe quelque chose... Il se concentre, espérant de nouveau entendre cette voix.
« Contrôle, nous sommes à l'hôpital. Vous pouvez nous extraire. »
Un cri lui répond.
« Le Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »
Et maintenant, Roger sait. La voix s'appelle NoAnde. Mais, il n'est plus du tout sûr qu'il s'agisse vraiment d'un ami...
Un peu plus loin, il distingue un autre bâtiment surmonté d'une croix. Roger décide d'y passer la nuit.
Roger ne reconnaît pas le lieu où il se réveille. Il est de nouveau dans cet étrange chalet en ruine qu'il a quitté (fui?) la veille. Mû par une angoisse incompréhensible, il sort en courant. Ses pas le mènent jusqu'à une clairière. À sa gauche, un lac. Au centre, un totem de plus de 3 mètres de haut. Des animaux sont représentés les uns au dessus des autres. Autrefois, ils ont été peints de couleurs vives. Aujourd'hui, la peinture s'écaille et on voit très nettement dessous le bois rouge dans lequel ils ont été sculptés. Roger pose la main dessus et ferme les yeux. Il entend le cri d'un corbeau. Il éprouve alors une sensation de chute vertigineuse. Mais ce n'est pas lui qui chute...
Demian tombe au milieu de très hauts arbres à l'écorce et aux branches suintantes de sève sanguinolente. Au-dessus de sa tête, une lune ronde, glaciale et sanglante, parcourue par le vol noir des corbeaux. Avec lui tombent des cadavres, hommes, femmes, enfants qui ont connu une mort brutale : ils ont été brûlés vifs, décapités, éviscérés ou embrochés. Tous murmurent : « J'étais innocent ».
Perché dans les branches, un homme observe la scène. Son visage affreusement déformé évoque une caricature de tête de corbeau déplumée, une gueule allongée et brisée en guise de bec, des poils épars en guise de plumes, des yeux hybrides.
Demian tente de se raccrocher aux branches. Malgré le sentiment d'impuissance que lui procure la chute, il se sent investi d'un force toute nouvelle. Il sent aussi le regard de la Mort se poser sur lui. Mais il n'en retire aucune crainte. Au contraire, la Mort est son alliée. Il sent, il sait que c'est grâce à elle qu'il parvient à se saisir de cette branche et à se rétablir avec autant de grâce que...
Roger pousse un petit cri. Une douleur aiguë lui vrille le crâne. Il retire aussitôt la main du totem et ouvre les yeux. Qui est cet homme ? Qui est cet homme qui tombe ? Et qui est cet homme à tête d'oiseau déplumé ? Il regarde autour de lui. Rien. Au dessus ? Loin, haut dans le ciel, est-ce un oiseau ou... ?
Demian s'assoit sur une branche. Il observe. L'être à tête de corbeau n'est plus là. Il ne le voit plus mais sent qu'il est proche. Il regarde au sol, les cadavres qui tombaient avec lui ont disparu. Demian descend de son arbre.
Par terre, envahie par la végétation, une carcasse de voiture. À l'intérieur, un corps ensanglanté. Demian reconnaît son père. Il ne parvient pas à détacher son regard de son visage dont la symétrie a été rompu par le choc de l'impact. Il se rappelle. Même après être passé entre les mains du thanatopracteur, le visage de son père portait toujours les stigmates de la collision. Il tend la main mais n'ose toucher le corps. Soudain, une horde de corbeaux fond sur la voiture. Demian n'a que le temps de se jeter en arrière. Il se couvre les oreilles pour ne pas entendre le fracas de leurs cris auxquels se mêlent le crissement de leur bec et de leurs griffes contre l'acier et le verre. Tout tremble. Il s'enfuit en courant.
Demian atteint ce qui semble la fin de ce bois maudit. Au loin, il devine quelques modestes masures. Soudain, comme sorti de nulle part, un enfant lui fait face. Il connaît cet enfant. Un petit gros à lunettes. C'est lui, quand il avait une dizaine d'année. L'enfant lève la main et plie ses doigt. Seul l'index reste dressé. Il ouvre la bouche :
« Début juillet 2018, la police d'Olympia (état de Washington) interpelle Paul Coleman dans le cadre d'une affaire de meurtres en série. On le soupçonne d'être l'auteur de neuf meurtres précédés de kidnapping et tortures. Il se laisse docilement conduire au commissariat où l'agent spécial Haze du FBI entend procéder à son interrogatoire. Après avoir proféré des paroles vides de sens dans le même style que les messages qu'il avait laissés sur les scènes de crime, Coleman se suicide d'une balle dans la tête tiré à l'aide de... son index droit. »
Un monstre surgit ! Il est couvert de poils noirs terminés par de petites bouches, avec de grandes parties sans poils qui montrent une chair de poule garnie de plis et de sphincters. Il agrippe l'enfant avec ses pattes de poulet et son bec de corbeau en disant : « Enfant menteur, je t'emporte avec moi dans les marais et je vais te punir ! »
Demian sent qu'il pourrait, qu'il devrait intervenir. Mais il n'aime pas l'enfant qu'il était. Alors, il le laisse partir entre les griffes du monstre. Il se met alors à tourner sur lui-même. Sa vision se trouble. Le décor change. Il voit. Il est dans une clairière. Dans son champ de vision apparaît par intermittence un vieux totem indien. Il y a un homme aussi. Enfin, presque un homme. Il est grand, grossier, recouvert de terre et de branchage. Leurs regards se croisent.
Demian se réveille dans sa chambre. Il est allongé dans son lit. Les draps sont humides,souillés d'une sueur désormais froide. À côté de lui, assis par terre, un homme se lève. C'est le même homme à tête de sanglier qu'il a déjà vu. L'homme ne dit mot mais Demian sait maintenant qu'il s'appelle NoAnde. Il sait aussi que l'autre homme, à côté du totem, s'appelle Roger. Mais ce n'est pas NoAnde qui le lui a dit.
Demian voudrait se relever mais il est littéralement cloué à son lit. NoAnde est maintenant debout. Il lui tourne le dos et sort de sa chambre. Un flash illumine la pièce à travers les volets baissés.
Demian retombe inconscient. Ses seules sensations sont celles de son corps soumis de violents spasmes et de sa tête minée par une effroyable migraine. Il a envie de vomir.
Nous ne pensons pas. Nous ne parlons pas. Ne faisons que marcher, courir, manger, nous nourrir. Nous sommes les Antigens. Nous ne pensons pas. Nous sommes les organes dispensables de la pensée du Thanatrauma.
Nous parcourons les bois à la suite de nourritures. Elles sont armées. Elles tirent et s'enfuient. Des Antigens tombent. D'autres non. La pensée du Thanatrauma nous anime. Nous courons. Il y a encore des coups de feu. Certains d'entre nous ne se nourriront plus. Mais certaines d'entre elles non plus. Deux autres nourritures tombent entre nos griffes. Le Thanatrauma compte trois cerveaux. Plus que 10...
Roger se sent moins à l'aise dans cet endroit. Il décide de s'éloigner des chalets. Il dépasse l'édifice où il avait passé la nuit et se retrouve dans ce qui a dû être, à une autre époque, un gymnase. Il reconnaît le marquage au ¾ effacé au sol. Il y a là plein de meubles et autres objets, tous quasiment inutilisables. Roger ouvre une des 3 portes qui se présentent à lui. Il entre dans une espèce d'office. Il farfouille et trouve plusieurs couteaux de cuisine. Il en éprouve le tranchant et jette son dévolu sur une lame d'environ 15 cm de long.
Roger retourne devant le totem. Il ne sait pas pourquoi mais cet endroit l'endroit l'attire. Peut-être est-ce la proximité de cette étendue d'eau dont il n'ose pourtant s'approcher. Observant son regard dans le reflet de la lame, il tente de mettre de l'ordre dans ses idées. Il est donc l'unique survivant d'une expédition lancée par la cité volante en vue d'explorer la forêt maudite de Millevaux. L'intégralité de la flotte a été abattue. Par qui et pourquoi ? Il l'ignore. Il a le sentiment depuis que l'écoulement du temps est devenu plus flou. Il a l'impression que des pans de sa mémoire ne lui appartiennent plus vraiment. Il s'est réveillé dans un autre endroit que celui où il s'était endormi. Il entend des voix. Il a des visions. Est-ce cela malédiction de Millevaux ? Où est-ce juste cet endroit sous l'influence de cet étrange totem ? Et qui sont ces gens qui peuplent ses pensées ? NoAnde, Demian, le Thanatrauma...
Roger est soudain la proie d'une violente migraine. Des mots l'agressent au plus profond de son crane. C'est NoAnde ?
« Il vient de la Cité Bleue ! »
Non, pourtant... ça lui ressemble...
« ''Fange, ornières, bourbiers. Progresser dans l'infâme mangrove. Sables mouvants.
Suffocation. Déchetterie de la mégafaune. La forêt de merde'' Qu'est-ce que ça veut dire ? Et qui est Paul Singer ? »
Le Magicien sourit. Il est à l'aise. Il hume la fumée de son café et en boit une gorgée.
« Paul Singer se rendra dans la Cité Bleue. La Forêt gagne du terrain. La nature est une Torture. Je ne connais pas le nom de celui que tu cherche. Mais tu le trouveras dans la forêt, derrière l'hôpital en ruine. Tu es un gardien de la Lwa. Méfies-toi des Horlas et crains les Cœlacanthes. »
Non, ce n'est pas NoAnde. Mais qui ? Qui est le Magicien ? Qui est Paul Singer ? Les Lwas, sont-ce les esprits représentés sur ce totem ? Un hôpital en ruine ? Il y aurait donc eu un hôpital ici ? Roger regarde autour de lui. Nulle trace d'un hôpital. Il se penche et se saisit de l'étrange collier qui pend à son cou. Quelque chose bouge dans la bille de verre sombre. Et soudain, la solitude lui pèse. Si lourdement. Ressentirait-il... de la peur ? Cet endroit lui fait peur. Et il est seul. Il comprend mieux maintenant la puissance des ses Augures et s'en veut de les avoir combattus en mettant la solitude sur un piédestal. Ce n'est qu'au sein de la Horde, de l'Essaim qu'il ne sera en sécurité. Et si c'était cela, le cadeau de Millevaux ? Lui avoir fait comprendre cela...
Roger se prend la tête au propre comme au figuré. Avant, il aimait être seul, perdu dans ses pensées au milieu de la foule de la cité volante. Il s'y sentait en sécurité et... supérieur. Ici, seul dans la forêt, en proie à un tourbillon de pensées et de visions qui ne lui appartiennent pas, il se sent perdu et vulnérable. C'est ici et maintenant qu'il ressent la force et la sérénité que vous confère l'appartenance à l'Essaim. Dans la Horde, on est jamais seul. Dans l'Essaim, nulle pensée parasite n'éveille l'angoisse. Finalement, était-il vraiment heureux là-bas ? Et si ses sentiments de force et d'intelligence n'étaient que des illusions, des masques destinés à dissimuler sa peur ? Sa peur de quoi ? De se perdre dans l'Essaim ? Il a l'impression d'avoir été un enfant en pensant cela. Et maintenant, alors qu'il se sent prêt à remiser toutes ses considérations égotistes, il a le sentiment, en étant prêt à ce renoncement à accéder maintenant, véritablement à un stade supérieur. Mais, où est la Horde qui le délivrera des affres et des tourments de son individualité ?
Roger lève la tête vers le sommet du totem. Il a envie de l'abattre mais des larmes de rosée perlent de ses yeux. Quelques chose approche. Il le sent.
« La nature a repris ses droits ! »
Pourquoi ce message ? Demian ne comprends pas. Ce post n'est pas joué par D. Maze mais par un certain... NoAnde !! Ce nom lui dit quelque chose mais impossible de se rappeler où il l'a entendu. À moins qu'il l’ait lu quelque part... Mais qui se cache derrière ce personnage ? Un autre personnage au pseudonyme emprunté à un manga à la mode... Que vient-il faire dans ce RP ? Et où est D. Maze ? A-t-il validé ce personnage ?
Demian décide d'arrêter de se prendre la tête plus que nécessaire et décide tout simplement de lire le post de ce NoAnde.
« Flash-back en noir et blanc. Une jeune femme tend la main à un cyborg tombé sur le trottoir. Il pleut des cordes. Soudain, une explosion ! Un océan de bulles chacune renfermant un clone. »
Demian ne comprend rien. Assis devant son écran, il se masse le menton du bout des doigts et se dit qu'il devrait penser à se raser. Mais il se demande surtout comment se dépatouiller de ce post étrange. Et là, il a une idée. Une scène de deal ! Il range l'exemplaire de Vertical dont il vient de consulter deux tableaux et s'empare de Remember Tomorrow. Il envisage de mettre un peu d'ordre sur son bureau mais renonce. Penché sur son écran, il réfléchit. Aaron Powl va conclure un deal avec les Lwas. Il va leur demander ce que signifie ce message et en échange... Il verra bien ce que les esprits lui demandent.
Demian va donc créer la Faction des Lwas. Il se dispense de consacrer une scène à leur Introduction car ils ont déjà été mentionnés dans le RP. Il se borne à remplir la fiche. Il fera quand même un jet d'XP, c'est quand même mieux. Il tire leur motivation au hasard en recourant à Muses & Oracles. Il s'avère que les Lwas veulent retrouver leur richesse. À leur propos, il est peu probable qu'il s'agisse d'or et d'argent. C'est certainement quelque chose de plus symbolique, métaphysique. De plus, n'oublions pas qu'eux et Aaron sont du même bord. Mais bon, ils veulent retrouver leur richesse. Ils sont « en colère ». On peut penser qu'ils le sont contre ceux qui leur ont dérobé leur richesse. S'agit-il des Horlas et des Cœlacanthes ? Demian réfléchit. Les Lwas sont des esprits de la nature. Les Horlas aussi, mais eux sont surtout une corruption. Les Lwas incarnent un certain ordre, une certaine harmonie mise à mal par les Horlas. Et si les Cœlacanthes étaient en quelque sorte les bras armés des Horlas dans cette corruption de la nature ? Cela expliquerait pourquoi il devrait se méfier de la Nature. La Nature reprend ses droits, mais de quelle Nature parle-t-on ? Demian jette à nouveau 2D6. Les Lwas sont donc en colère mais ils sont aussi « confus ». C'est très probablement dû à la montée en puissance des Horlas. Peut-être aussi que les Lwas s'interrogent quant à leur propre légitimité. Doit-il nécessairement y avoir un ordre à la Nature ? Ou un ordre qu'on puisse opposer à un désordre ? Et si la Nature ne pouvait être qu'ordonnée puisque ces règles sont nécessairement celles de la Nature justement ? Dans ce cas, les Horlas ont-ils vraiment tort ? Ils ne seraient que l'affirmation d'un autre ordre tout aussi légitime. Les Lwas, finalement, ne lutteraient pas tant pour préserver l'ordre que pour se préserver eux-mêmes. La Nature est en perpétuelle évolution. Il est peut-être temps que les Lwas quittent la scène ? D'ailleurs, dans un RP cyberpunk, on ne peut pas vraiment dire que la Nature soit la grande vainqueure. Dans ce cas, du point de vue de la Nature, les Horlas et les Cœlacanthes sont ses sauveurs, ses vengeurs...
Demian a l'impression de toucher quelque chose. Mais, pour l'instant, il ne veut pas aller plus loin. Il veut juste savoir ce que les Lwas ont à lui apprendre et ce qu'ils vont lui demander.
Aaron Powl est chez lui. Il accomplit les rituels de purification nécessaires à la communication avec les Lwas. Il lance ensuite une musique aux rythmes propres à le mettre en transe. Seul, au milieu de son salon, Aaron Powl se met à danser, de plus en plus vite. Il n'a pas voulu recourir à la Noix. Il doit donc danser longtemps. Il est en nage. Sa vision se brouille. Des piques lui transpercent le crane. Il voit un vieux totem indien. À son cou pend une breloque. Un bille de verre sombre dans un entrelacs de fil de fer. Quelque chose bouge à l'intérieur de la bille. Il entend des voix. Elles sont en colère. Elles sont confuses. Elles sont les Lwas. Il sait que NoAnde tente de lui parler. Mais les voix des Lwas couvrent la sienne.
« La nature a repris ses droits ! Flash-back en noir et blanc. Une jeune femme tend la main à un cyborg tombé sur le trottoir. Il pleut des cordes. Soudain, une explosion ! Un océan de bulles chacune renfermant un clone. » Qu'est-ce que ça veut dire ?
« Contrôle, nous sommes à l'hôpital. Vous pouvez nous extraire. »
Un cri lui répond.
« Le Thanatrauma ! Il approche ! Éjection ! Éjection ! »
Aaron Powl pousse un cri. « Noooooooon !!!!!!! »
Il s'écroule. Loin, très loin, les Lwas lui parlent. Ils crient, ils hurlent. Mais Aaron Powl n'entend qu'un lointain murmure.
« Aaron, un artiste de la guerre, impatient, avide... Il pense combattre une puissance très ancienne avec de l'argent. Il va s'en prendre à toi, Aaron, lors d'un voyage. Tu dois perdre pour gagner... »
Aaron Powl est resté inconscient pendant près de 3 heures. Quand il se réveille, il a une migraine pas possible. Pourtant, il sait ce qu'il a à faire. Il doit partir en voyage... et perdre. Alors, les Lwas lui révéleront leurs secrets.
Nous courons. Nous mangeons. Nous courons. Nous mangeons. Nous sommes les Antigens, le véhicule de chair morte du Thanatrauma. L'homme en noir tire. Deux Antigens tombent. Le Thanatrauma avance. L'homme en noir et la femme montent dans le bus. Le bus démarre. L'homme en noir tire. Deux autres Antigens tombent. Les autres antigens se jettent sur la nourriture qui n'est pas montée dans le bus.
Les Antigens sont heureux parce qu'ils mangent. Le Thanatrauma ne l'est pas car il n'a toujours que 10 cerveaux.
Roger détourne son regard du totem et le pose sur la petite étendue d'eau sur sa gauche. Il y a un îlot au milieu. Pour autant, il a peur. Peur de l'eau. Ce n'est pas chez lui. La terre, c'est chez lui. Pas l'eau. Il préfère donc poursuivre son exploration des lieux en prenant le chemin qui s'offre tout droit devant lui. Là, il prend conscience que la solitude commence à lui peser, qu'elle ne peut plus être conçue comme une fin en soi. Oui, l'homme est toujours seul face à la mort, mais seulement face à elle. Pour le reste, il y a la famille, le clan, la tribu. L'essaim et la Horde. Perdu dans ses pensées, il perçoit un bruit mais ne parvient pas à en déterminer l'origine. Il ne voit rien autour de lui. Puis, une ombre.
Roger fait une roulade et évite in extremis l'attaque d'un énorme corbeau. L'oiseau prend de l'altitude et pique à nouveau sur lui. Roger l'évite de nouveau d'un bond mais se retrouve cloué au sol par une nouvelle crise de migraine. Ce bourdonnement est affreux. Il voit...
...Demian est de nouveau dans la forêt. Il voit. Il SE voit. Il est là, face à ce Horlacanthe qu'il viole pour le tuer. Il SE voit dans cette fosse remplie de boue et de merde. Il SE voit faisant le tour de la voiture dans laquelle son père est mort. Il ne l'a jamais vu en vrai. Mais là, il la voit. Elle est envahie par les feuillages. Le corps de son père, au visage fracassé, est là, lui aussi en proie à la végétation qui se teinte de son sang.
Demian se frappe au visage. Il ne sait pas si c'est pour se réveiller ou s'assommer mais il ne veut plus voir ça ! À la périphérie de son champ de vision, l'homme-sanglier est là. Il est nu. Du pus s'échappe de chacun de ses orifices. Sans tourner la tête dans sa direction, Demian lâche entre ses dents : « Je te vois... »
« Je sais, répond l'homme-sanglier. Tu me vois car tu vois les morts. Tu es à cheval sur la Limite. La Limite entre les mondes. Tu vois les morts. Tu peux leur parler, entendre leurs pensées. Je suis mort et j'ai besoin de toi. Je suis mort et j'erre dans un temple-prison dont je dois Le libérer. J'ai besoin de toi pour activer la Structure, le Schème. Alors, la Porte s'ouvrira et conduira au temple-prison. Le Patient 13, tu dois le trouver.
Roger se relève péniblement. Il regarde autour de lui, à l’affût du moindre mouvement trahissant une attaque du corbeau. Le bourdonnement est plus intense. Il se concentre. Il sent une présence. Plusieurs présences. Il ne veut pas les sentir. Il veut les voir ! Et il voit !
Ils sont là. Ils sont partout ! Les morts ! Les Antigens ! Encore 10 cerveaux avant le Patient 13. Les Antigens pointent leurs doigts décharnés et ensanglantés vers lui. Ils le désignent, montrent quelque chose. Le talisman. Il l'arrache de son cou et le brandit dans leur direction en criant.
« Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que vous voulez ? »
« La Structure, le Schème... Plus que 10 cerveaux... Nous sommes les Antigens, je suis le Thanatrauma. »
Soudain, les Antigens se redressent et se figent. Ils pointent encore leurs index en direction de Roger, du Talisman. La voix du Thanatrauma retentit encore.
« Ceci est la Structure, le Schème. Encore 10 cerveaux et le Patient 13... »
Sa voix change.
« La nature a repris ses droits ! Flash-back en noir et blanc. Une jeune femme tend la main à un cyborg tombé sur le trottoir. Il pleut des cordes. Soudain, une explosion ! Un océan de bulles chacune renfermant un clone. »
Dans le ciel le corbeau crie. Les Antigens, tel un seul homme, lèvent la tête dans sa direction. Le corbeau s'en va. Le tonnerre gronde. La pluie se met à tomber. Une jeune femme parmi les Antigens, la robe déchirée, recouverte de boue et de sang, s'approche de Roger et lui tend la main. Le golem sent ses jambes trembler. Elles peinent à le porter. Le cadavre sourit. Dans sa main, elle tient une Noix. Dans le Talisman, le Ver Gris s'agite.
« Je suis la jeune femme. Tu es le cyborg. Ceci est la bulle. Les clones sont les holo-fragments de l'identité éclatée de Demian. Ceci est la Structure, ceci est le Schème. Plus que 10 cerveaux et le Patient 13... Où est Paul Singer ? Il devrait être là... »
Un vieux tribunal aux gradins vermoulus, envahis par des champignons blancs géants et des toiles d'araignées. Partout, des humains empaillés dans des postures diverses.
Perchés dans de hautes tribunes, des juges et des avocats à têtes de corbeaux, en toge noire et perruque poudrée. Dans les gradins, des corbeaux. Sur le banc des jurés, des têtes de corbeaux.
Pendue à un lustre de branchages garni de bougies tremblotantes, la Magicienne, avec un pénis en érection et des seins perlant de lait. Dans la flaque de foutre, un tubercule humanoïde a poussé : Roger ! Demian !
Demian émerge de la semence. Il ne reconnaît pas son corps. Pas complètement. Il est mi homme-mi... terre. Des plaques d'écorces recouvrent ses bras, sa poitrine. Des feuillages et des brindilles ont remplacé ses poils et ses cheveux. Il regarde l'étrange collier qui pend à son cou. Dans la bille de verre, un Ver s'agite. Autour de lui, tout le monde est figé. Il comprend. Ce silence est sensé lui être insupportable au point qu'il le rompe lui-même et confesse ses fautes. Quelles fautes ?
La Justice est une illusion, le tribunal est son petit théâtre. Il a eu des cours là-dessus en fac. Il ne se laissera pas impressionner. Il se redresse et fait face fièrement à ses juges. Il les défie du regard. Inconsciemment, il porte la main au Talisman. Alors qu'il le manipule, un bourdonnement se fait entendre. Demian ne parvient à déterminer sa source. Il se concentre. Ils sont là, tout autour de lui, il les voit. Les morts. Les Antigens. Le Thanatrauma !
Les corbeaux sortent alors de leur immobilisme. Un vent de panique souffle dans tous le tribunal. Demian se jette sur un corbeau. Il le saisit par les ailes qu'il écarte le plus largement possible et empale l'oiseau sur son sexe en érection.
« Je suis Demian Hesse et Aaron Powl. Je suis Damon Haze et D. Maze. Je suis Paul Singer et Paul Coleman. Je suis NoAnde, NeinUnd et Siy. Je suis Roger et Johanna Ackermann. Je suis le Thanatrauma et les Antigens. Je suis... Je suis !!! »
Et la voix du Thanatrauma retentit dans tout le tribunal.
« 13 ! 13 cerveaux pour le Patient 13 ! Tu es la Structure et le Schème. Tu es le Patient 13 !
Les portes s'ouvrent ! »
Demian vomit. La migraine est atroce. Roger est seul, à genoux sous la pluie. Les Antigens sont là eux aussi. Autour de Roger, autour de Demian. Demian leur fait signe de partir. Roger leur fait signe de s'approcher. Demian souffre le martyre. Roger se sent libéré. L'ancrage qui l'entravait vient de voler en éclat. Demian est dévoré par la migraine la plus atroce à laquelle il est jamais dû faire face. Il est dévoré par une faim à laquelle il ne peut répondre qu'en s'arrachant un bout de la chair de son avant bras à grands coups de dents. Demian est en guerre contre la souffrance et contre lui-même. Roger est en paix. Il tend la main vers la Horde, vers l'Essaim et la Horde, l'Essaim, l'accueillent en souriant. Les morts accordent la paix à Roger. Demian ne peut se résoudre à mourir. Le bras et la bouche en sang, il erre dans son appartement envahi par la végétation en hurlant. Il se frappe la tête contre les murs. Il appelle à l'aide. Il appelle NoAnde. Il appelle Shub'Niggurath. Il invoque la Structure et le Schème. Il...
À bout de souffle, Paul Singer finit par arrêter de courir. Il se retourne et constate que Johanna Ackermann est toujours derrière lui. Les zombies, par contre, semblent avoir abandonnés leur poursuite. Un répit ?
Devant lui, un bâtiment en ruine ressemblant étrangement à l'hôpital de Blue City. Mais il n'est plus à Blue City. Il est à Millevaux. Il ne sait pas trop comment ils sont arrivés là Johanna et lui. C'est à cause de l'hôpital et du Thanatrauma. C'est à peu près tout ce dont il est sûr. Ils échangent un regard avec Johanna. Elle lui sourit. Ils entrent.