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Critiques de Jeu, Comptes rendus et retour d'expérience
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Nébal
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Re: Critiques

Message par Nébal »

Antharius a écrit :Notre MJ nous a fait découvrir Kuro avec justement le scénario Origami. En tant que joueur je n'ai pas senti la découverte du potentiel en dehors des scènes d'action. Dommage pour l'immersion dans le mystique japonisant.

Concernant les règles, le système des "coup de pouces" et autre favorisent le jeu à combo et l'optimisation à outrance. Et comme les scénario sont portés action mon pauvre étudiant en histoire des Kami à vraiment fait de la figuration...
Vi, je suppose...

Mais de manière générale, ce réflexe de l'optimisation me dépasse totalement, faut dire...

Les scénarios suivant sont-ils aussi orientés "action" ?
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Dox
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Message par Dox »

Nébal a écrit : Les scénarios suivant sont-ils aussi orientés "action" ?
Dans mon souvenir de joueur, non. Notre MJ nous a fait jouer de nombreuses enquêtes. :)
Le JDR : le poids des mots, le choc des dés ! :bierre:
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Nébal
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Re: Critiques

Message par Nébal »

Dox a écrit :
Nébal a écrit : Les scénarios suivant sont-ils aussi orientés "action" ?
Dans mon souvenir de joueur, non. Notre MJ nous a fait jouer de nombreuses enquêtes. :)
Merci ! :)
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Solaris
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Re: Critiques

Message par Solaris »

Antharius a écrit :
Nébal a écrit :Image

Lu Kuro, le livre de base, et trouvé ça intéressant malgré quelques bémols.
Spoiler:
Kuro est un jeu de rôle développé il y a une dizaine d’années par le 7e Cercle, et qui me faisait de l’œil depuis pas mal de temps déjà, sans que je sache avec certitude de quoi il causait au juste… Ou disons que je m’étais développé avant tout l’image d’un jeu de rôle dans un Japon futuriste pas forcément hyper-original, quelque part entre les canons du cyberpunk et la violence cynique d’Akira. Ce dernier aspect me paraissait à vue de nez surtout saillant en ce qui concernait l’évolution des personnages – plus que le côté post-apocalyptique à proprement parler. Pour le reste du background, au fond je n’en savais pas davantage – même s’il n’est en rien difficile de se renseigner, hein…

Je savais une autre chose, cependant : que Kuro était un jeu « fini ». Outre le livre de base dont je vais causer aujourd’hui, il n’y a que deux suppléments : Makkura, qui comprend l’écran du jeu et des scénarios prolongeant ceux du livre de base dans l’optique d’une campagne destinée à changer radicalement la donne ; et Tensei, conséquence de la campagne Kuro-Makkura, qui, d’une certaine manière, subvertit le jeu plus qu’il ne le complète au sens le plus strict – en injectant une dose aiguë de surnaturel dans les PJ eux-mêmes (c’était là que je voyais le côté Akira – ou disons Tetsuo, plus exactement, ou plus largement super-héroïque, dans un sens, mais à la sauce nippone, et « spirituelle » plutôt que « mutante », etc.). En fait, à tout prendre (et l’argumentaire du livre de base va d’ailleurs dans ce sens), on peut tout à fait considérer qu’il y a en fait deux jeux dans la gamme : Kuro, et Kuro : Tensei ; libre aux maîtres et joueurs de jouer Kuro tout seul, de jouer la campagne liant Kuro et Tensei, éventuellement via Makkura, ou de jouer uniquement Tensei… Mais revenons au point de départ : l’idée d’une gamme finie – et vraiment finie, pas abandonnée en cours de route… Parce que ça, c’est une chose que je reproche vraiment au 7e Cercle, même s’il s’agit probablement d’une tendance plus récente : combien de gammes l’éditeur a-t-il entamé pour les laisser peu ou prou tomber, préférant développer de nouveaux machins qui à leur tour n’auront pas le suivi adéquat ? Parmi les jeux auxquels je me suis intéressé, si je mets Sable Rouge à part (car n’appelant pas d’autres développements à la base ; l’auteur avait évoqué quelque chose, mais dans son coin, c’était différent), Yggdrasill est sans doute celui qui s’en est le mieux tiré, puisqu’on en est arrivé à la fin de la « gamme fermée ». Cthulhu est grosso merdo en rade depuis un bail, quant à Z-Corps, autre jeu à « gamme fermée » pourtant, il a connu toute une succession de suppléments mettant en place la campagne du jeu… mais plus rien depuis un bail, alors démerdez-vous pour la suite. D’autres jeux, qui auraient pu m’intéresser, ont été bâclés d’emblée et vite abandonnés (comme Fading Suns ou 13e Âge)… Par contre, de nouvelles gammes sont sorties, comme X-Corps (j’aimerais bien revenir au Z…), ou Shayô, tout récemment, jouant à nouveau la carte japonaise (en post-apo), dont l’avenir me paraît du coup bien flou… Cette politique tend à m’agacer (d’autant qu’elle s’accompagne souvent, dans les livres publiés, d’un défaut de relecture évident et très pénible) ; aussi revenir à un jeu plus ancien mais « terminé » me paraissait pas plus mal…

Mais je ne savais donc pas forcément grand-chose de cet univers – l’enrobage du bouquin est à vrai dire assez mystérieux, et, disons-le, le bouquin lui-même l’est presque autant ; ce n’est pas forcément un défaut, dans la mesure où cela laisse du champ au MJ pour préparer sa sauce, mais je regrette tout de même un peu cet hermétisme relatif – pour employer des notions sur lesquelles il faudra revenir ensuite, que l’Incident Kuro en lui-même soit maintenu dans le flou est parfaitement acceptable, pour ce qui est des causes assurément, mais sans doute un peu moins pour ce qui est des conséquences ; quant à la notion de « potentiel », concernant les PJ, elle se devine sans doute (à la Akira, donc), mais sans se voir accorder le moindre développement utile dans ne serait-ce qu’un paragraphe spécifique – la notion même (plutôt que son contenu qui demeure très évasif) n’apparaît qu’en filigrane çà et là, sans plus d’explications… et c’est en fait dans les deux scénarios qui concluent le livre (et qui entament la campagne officielle de Kuro) que l’on trouve le plus de références à cet égard, montrant bien son caractère fondamental à terme – puisque c’est bien, semble-t-il, ce qui nous conduira à Tensei… Là, le flou me paraît préjudiciable, vraiment.

Mais revenons à la base. Le livre se partage classiquement en deux parties, la première accessible à tous, la seconde réservée au MJ. Le background est relativement important, en dépit de cette orientation « ésotérique » (au sens strict) que je mentionnais à l’instant, et s’avère globalement intéressant. Il pose en tout cas les traits essentiels de Kuro (mais sans présager Tensei), jeu qui s’avère finalement d’une certaine originalité en même temps que cohérence, en mêlant deux traits de la culture populaire nippone (en prenant en compte, de manière assez bien vue, son exportation) : d’une part une anticipation à relativement brève échéance (le jeu débute en 2046), mêlant aspects cyberpunk intégrés à la culture de l’archipel, et un sous-texte lorgnant sur le post-apocalyptique qui renvoie presque instantanément à Akira (sans que l’on mette en avant la notion de « potentiel » pour le moment) ; d’autre part – et c’est un aspect fondamental du jeu, qui n’est certes pas pour me déplaire, mais dont je n’avais pas la moindre idée en ayant entamé la lecture de Kuro un peu au pif –, le jeu joue la carte surnaturelle, mais là encore adaptée aux canons locaux : en l’espèce la « J-Horror », au succès international considérable, dans la foulée de Ring de Nakata Hideo.

Inutile sans doute de trop s’attarder sur le contexte géopolitique avant 2046 – même s’il est ici rapporté avec juste ce qu’il faut de détails. La base du jeu repose en effet sur l’Incident Kuro, qui a eu lieu le 4 mai 2046 – la campagne est supposée débuter quelques mois plus tard à peine. L’Incident Kuro évoque considérablement Akira ; l’idée, sans excès de précision, est qu’un dispositif de réponse nucléaire automatique, conçu dans l’optique d’une sorte de nouvelle guerre froide, a été trompé par une importante secousse sismique, lançant les missiles par erreur, en l’absence de toute agression… Situation aussi absurde que terrible. Une de ces fusées avait pour cible le Japon, et aurait dû en toute logique faire des centaines de milliers voire des millions de morts… Et pourtant, non. Personne n’a la moindre idée de ce qui s’est passé, mais la bombe n’a pas explosé – il s’est bien passé quelque chose, mais de là à dire quoi ? Demeure ce fait troublant que l’assaut nucléaire intempestif n’a pas fait de victimes. On cherche à expliquer ce qui s’est produit, bien sûr : au sein même de la société japonaise, d’aucuns évoquent sans doute le « Vent Divin » (kamikaze), qui avait sauvé l’archipel des invasions mongoles – un retour des esprits (ou kami), plus que jamais désireux de préserver et protéger la terre sacrée des dieux… Les sectes et sociétés secrètes prolifèrent suite à l’Incident Kuro. À l’extérieur, cependant, une autre explication se montre plus séduisante – supposant que le Japon avait développé en secret un système de bouclier anti-missiles… signe incontestable d’ambitions militaires dans la région, et tout particulièrement concernant la Fédération Panasiatique constituée autour de la Chine ; et, en outre, violation de la Constitution japonaise prohibant tout développement militaire ! Cruelle ironie : le Japon, pour avoir survécu de manière inattendue à un assaut nucléaire… prend des allures de coupable plutôt que de victime aux yeux de la communauté internationale. Renvoyant là encore à Akira, un blocus est instauré, isolant le Japon plus que jamais perturbé, à tous les niveaux, du reste du monde…

Au sein des frontières de l’archipel, l’incompréhension est totale, le chaos latent, et l’avenir bien flou. Tokyo, rebaptisée Shin-Edo, et cadre de prédilection du jeu (ce livre n’envisage en rien le reste du Japon, ce qui est un brin regrettable à mes yeux, mais j’ai cru comprendre que Makkura y remédiait un peu), était déjà propice aux tensions, avec la ségrégation informelle (ou plus ou moins, d’ailleurs – elle a des conséquences « automatiques » à l’occasion) opposant la « génocratie » dirigeante, faite de riches vieillards à même de dépasser la maladie et la mort, et le lot commun de la population, engagé dans une lutte de tous les instants pour préserver sa position relative sinon l’améliorer. Cette ségrégation à plusieurs niveaux s’exprime sans doute au regard de la technologie – si la critique économique et sociale, avec son lot de génocrates égoïstes, de cyniques zaibatsu et de misère noire dans les ruelles, traduit la dimension cyberpunk du jeu dans son fond même, le catalogue des implants, intelligences artificielles et autres merveilles dangereuses et addictives de la réalité virtuelle ou augmentée inscrivent cette dimension dans la forme – de manière peut-être un peu superficielle, d’ailleurs, et ce, paradoxalement, malgré des développements assez touffus, occupant un espace assez conséquent (du premier chapitre notamment).

La touche surnaturelle, renvoyant à la « J-Horror », n’est guère développée jusqu’alors. On s’en tient à des rumeurs – parlant de manifestations plus fréquentes ces derniers temps des esprits, quels qu’ils soient, ou du moins de faits étranges et insondables, et d’autant plus inquiétants, qui pourraient impliquer yūrei (Sadako et ses copines), tengu, oni ou kappa… Et sans doute y a-t-il un lien entre cet afflux de manifestations et l’Incident Kuro – qui reste à déterminer.

Et les personnages, dans tout ça ? Eh bien, conformément à un motif typique de l’horreur japonaise (décortiquée plus loin au bénéfice du maître de jeu, ce qui donne lieu à des conseils plus intéressants que d’habitude concernant la manière de maîtriser à Kuro), ils sont supposés être parfaitement banals (dimension qui, cependant, ne ressort pas forcément des archétypes proposés…), autant de quidams qui ne cherchent pas la merde, loin de là, mais qui la subissent quoi qu’ils fassent ; l’idée du « potentiel » justifiant tout cela n’est donc pas décrite avant un bon moment, et, à vrai dire, en refermant le livre, on n’en saura guère plus…

Le plus gros du background, et de loin, porte cependant sur la ville de Shin-Edo (ex-Tokyo), avec un long « guide touristique » arrondissement par arrondissement ou peu s’en faut, chaque quartier se voyant attribuer trois personnages, lieux ou thèmes, généralement plutôt bien vus, qui sont autant de pistes pour développer la campagne. C’est bien fait, touffu cependant, et quelque peu aride à vrai dire (comme l’ensemble du livre, mais c’est plus sensible ici) ; manque par ailleurs une carte, qui aurait été vraiment utile pour se repérer dans tout ça – j’ai cru comprendre que Makkura y remédiait.

On trouve plus loin d’autres éléments de background – des exemples de contacts, notamment –, tandis que la partie consacrée au MJ mêle comme de juste technique et fond à plusieurs occasions, et notamment au cours d’un bref bestiaire fantastique. Là encore, les suggestions de maîtrise, pour les différents aspects du jeu, distingués entre anticipation et horreur, sont assez bien vues, et peuvent avoir une influence directe sur le « fluff » et la manière de l’utiliser.

Côté technique, nous sommes en présence de quelque chose de somme toute très classique, avec quelques idées en sus pour donner un peu de patine au machin. Les personnages, comme dit plus haut, sont supposés être banals – même si les archétypes proposés ne le sont pas tant que ça, au fond. La base de la fiche est toute simple, on ne peut plus classique : on trouve des Caractéristiques Principales (au nombre de huit : quatre pour le Corps, quatre pour l’Esprit), des Caractéristiques Secondaires qui en sont dérivées, enfin et surtout des Compétences – avec une liste relativement complexe, et probablement bien trop en ce qui me concerne ; notamment pour tout ce qui concerne les connaissances plus ou moins académiques, bien trop pointues à mon sens pour être jouables, d’autant qu’elles passent par un encombrant système de compétences préalables… Un aspect du système de Compétences me paraît plus intéressant, et ce sont les Gimmiku, qui sont des capacités spéciales déterminées par le joueur en fonction de son avancement, conférant des bonus divers – ainsi, un « expert » ou un « spécialiste », pour le même score de Compétence, ont des effets spéciaux différents, et il en va de même pour la « précision », les « coups de pouce », etc.

Tout ceci s’exprime en jeu par un système là encore très classique : hors Gimmiku qui peuvent donc changer un peu la donne, on additionne le plus souvent un score de Caractéristique et un score de Compétence, on jette autant de dés (à six faces, toujours) et on compare à un seuil de réussite déterminé par le MJ pour un test simple, ou à la réussite de l’antagoniste en cas de test d’opposition – dans les deux cas, on peut déterminer une marge permettant de préciser le degré de réussite ou d’échec. Les résultats obtenus aux dés sont enfin affectés par une dose supplémentaire de « chance », rendant potentiellement le jeu plus dynamique : les 4 comptent pour 0 (car la prononciation « shi » renvoie au terme signifiant la mort), tandis que les 6 sont « explosifs », et donc relancés le cas échéant pour obtenir des succès supplémentaires, éventuellement épiques. Les règles de combat, pour l’essentiel, sont une reprise de cette mécanique traditionnelle, avec cependant là encore un petit plus (banal mais aisé à prendre en main), laissant à chaque joueur la possibilité de privilégier la précision ou les dégâts ; à vue de nez, c’est simple, pas forcément très bandant, mais efficace.

Le livre se conclut sur deux scénarios, qui se suivent plus ou moins : ils n’ont pas de caractère obligatoire, mais constituent bien la base d’une campagne officielle, poursuivie ultérieurement par Makkura, et débouchant sur Tensei. Cependant, ils n’ont rien de scénarios « clef en main »… et nécessitent probablement un travail conséquent de la part du MJ, a fortiori pour coller au plus près des personnages conçus par les joueurs… « Origami » a en partie pour but de familiariser les joueurs avec l’univers « visible » de Kuro : la technologie, les quartiers de Shin-Edo, le quotidien des Japonais après l’Incident Kuro, les conséquences du blocus… Mais il s’agit aussi d’introduire la notion jusqu’alors à peine évoquée de « potentiels », qui permet de rassembler les PJ (qui ne sont pas censés se connaître au début). Une convocation sous un faux prétexte leur permettra en effet de se rencontrer, et de soulever à peine un peu le voile sur des conséquences de l’Incident Kuro qui les affectent directement, sans qu’ils sachent bien ni pourquoi, ni comment. Cette première étape leur permettra donc de s’associer, et de travailler ensemble dans le deuxième scénario, « Fugu », qui adopte davantage des allures d’enquête – mais nécessite là encore un certain investissement du MJ. Pour le reste, j’ai surtout regretté que ces deux scénarios mettent autant en avant l’action – enfin, surtout le premier, « Fugu » n’est affecté à cet égard que par un combat final, somme toute. Mais « Origami » tient en effet du survival en huis-clos ; en travaillant l’ambiance, sans doute est-il possible d’en retirer quelque chose de fort intéressant, mais ça ne s’accommode clairement pas de la moindre impréparation… Je demeure curieux de la suite, toutefois – peut-être jetterai-je un coup d’œil à Makkura, du coup… Et on verra après pour Tensei, si jamais.

Quelques mots enfin sur l’apparence de la chose. D’emblée, on remarque que le livre est très dense, au point d’en être passablement austère – ce qui ne facilite pas toujours la lecture. Les illustrations, quand il y en a, sont pourtant de toute beauté (du moins celles en noir et blanc – la couleur n’est employée ici que pour les archétypes… et la couverture, certes pas top, dommage). La rédaction m’a paru assez correcte – au regard du niveau pas très élevé de beaucoup trop de jeux de rôle, en tout cas… – et le travail de l’atmosphère tout à fait séduisant.

Bilan assez sympathique, donc : ce que l’on sait de l’univers et de l’ambiance, au sortir de ce seul premier titre, est plutôt enthousiasmant – quant aux règles, si elles ne brillent pas, elles font à vue de nez le job, et je n’en demande sans doute pas davantage. Je regrette les « non-dits », surtout – certains aspects, et tout particulièrement la question des « potentiels », auraient à mon sens bénéficié de se voir accorder de vrais développements ici, au moins au bénéfice du maître, les allusions n’étant pas forcément suffisantes à cet égard. Mais l’idée de mêler cyberpunk nipponisant et horreur résolument nippone me botte assez… Assez pour tenter le reste de la gamme ? On verra…
Notre MJ nous a fait découvrir Kuro avec justement le scénario Origami. En tant que joueur je n'ai pas senti la découverte du potentiel en dehors des scènes d'action. Dommage pour l'immersion dans le mystique japonisant.

Concernant les règles, le système des "coup de pouces" et autre favorisent le jeu à combo et l'optimisation à outrance. Et comme les scénario sont portés action mon pauvre étudiant en histoire des Kami à vraiment fait de la figuration...
J'avais beaucoup aimé Kuro, malgré sa création de perso trop lourde, voir indigeste. En plus, notre MJ allait régulièrement au Japon qui est sa seconde patrie. C'était donc un plaisir de retrouver des anecdotes sur la vie là-bas, et d'avoir des clés pour comprendre "l'esprit japonais".
Par contre, notre table a peu apprécié Tensei...
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Soner Du
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Message par Soner Du »

Hop, je ronchonne sur Chill v3 sur le GRoG (2/5), en mode VCI : http://www.legrog.org/jeux/chill/chill-3eme-ed-en

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Fan de Chill depuis une vingtaine d’années (époque de la v2), c’est avec une impatience mêlée de curiosité que j’attendais cette troisième édition, et j’avais d’ailleurs souscrit à son financement participatif. Globalement je suis déçu sur plusieurs points et ne compte pas utiliser le jeu, étant pour l’horreur classique déjà satisfait par son concurrent “old-school” Cryptworld, ou pour l’horreur en général par l’Appel de Cthulhu (v4). Cette critique sera donc globalement à charge, même si j’essaie tout de même de faire ressortir quelques qualités du jeu et d’expliquer pourquoi ça ne me convient pas personnellement, mais pourrait plaire à d’autres !

Les simplifications du système de résolution me plaisent bien à première vue : fin des formules alambiquées pour calculer les scores de compétences, réduction du nombre de caractéristiques des PNJ et Choses, etc. J’ai plus de réserves sur l’usage des jetons à double face, désormais au cœur du système : ils servent de réserve de points de chance ou de malchance, symbolisant l’équilibre entre les ténèbres (de la menace) et la lumière (de l’espoir). Ils servent également à “nourrir” les pouvoirs surnaturels, d’une part ceux des Choses (créatures maléfiques) par la dépense de faces sombres, d’autre part ceux des PJ par la dépense de faces claires.

Je ne suis pas vraiment convaincu
  • par l’omniprésence de ce gadget à tous moments du jeu : des jetons basculent à chaque jet critique...
  • par la dissymétrie entre les pouvoirs des Choses (uniquement gérés par les jetons) et des PJ (gérés par des jetons et des dépenses de Volonté)
  • par la disparition de l’attribut de Chance qui était un moyen bien pratique de gérer simplement les coups du sort...
Gage d’un jeu sérieux et moderne, on a le droit aux inévitables discussions sur le contrat social : les enfants et la drogue sont des sujets à aborder avec tact, c’est mal de caricaturer les malades mentaux, etc. Autre tic moderniste sans doute hérité de chez White Wolf, il y a une certaine sur-représentation des minorités sexuelles : sur les 20 personnages prêts-à-jouer proposés, 4 sont de la galaxie LGBT (un transexuel de chaque sexe, une homosexuelle, et une drag-queen). Certes, ça change des éternels WASP virils ex-membres de forces spéciales, mais une "inclusivité" aussi forcée ressortit aussi à la caricature...

Un très long chapitre est consacré à la SAVE, l’organisation de traqueurs du surnaturel à laquelle les PJ appartiennent par défaut. Un peu trop long à mon goût, d’autant plus qu’elle reste assez fade et neutre, la v2 avait au moins rajouté un côté “société secrète en perdition” qui est ici (re)devenue une organisation solide, et détaillée ... et insipide. 74 pages pas vraiment passionnantes, je trouve.

Les illustrations m’ont un peu déçu par leur côté hétéroclite, mêlant de belles photos retouchées et des illustrations plus classiques de qualité variable ; celles du bestiaire sont sans doute les moins réussies, hélas (AMHA). La v2 était plus cohérente à ce niveau, avec un seul illustrateur en VO, et en VF d’autres illustrateurs présents plus discrètement dans des vignettes ou en tête de chapitre.

Puisque j’évoquais le bestiaire, je suis un peu déçu par son contenu. Même si finalement il contient une bonne trentaine de créatures, je le trouve assez succinct puisqu’il y manque pas mal de créatures bizarroïdes et exotiques des éditions précédentes (cependant parfois évoquées dans les textes, ça sent les suppléments à venir) ; la v2 était bien plus exhaustive. Le ton est également plus malsain qu’auparavant, avec quelques nouvelles Choses bien cradingues et/ou perverses.

Côté PNJ humains, cette édition n’y consacre pas vraiment de place, il manque par exemple les règles (ou au moins des conseils) concernant la persuasion, la corruption, etc. Par contre, au niveau des conseils de maîtrise et de préparation d’aventures, là c’est plutôt pas mal du tout et pertinent : exploration des genres de l’horreur, construction d’un scénario et de la chaîne d’indices, etc. C’est clair et exhaustif. Au niveau de la campagne, les joueurs sont invités à définir en amont l’ambiance attendue, les méthodes d’action, les menaces probables, etc. Ce sont de bons conseils à recycler ailleurs !

Pour conclure, ce nouveau Chill prend le contre-pied de ses prédécesseurs principalement sur deux points :
  • sérieux et malsain au lieu d’être léger et ironique, en cela il a sans doute suivi la mode des films d’horreur de son époque : v1 héritière de l’horreur gothique de la Hammer, v2 héritière de l’horreur pop 80’s (flambeau repris par Cryptworld) avec un chouïa de conspiration, v3 héritière de l’horreur dérangeante des années 2000.
  • possédant un mécanisme narrativiste omniprésent pour représenter la tension et l’horreur, les jetons à double face présents sur la table, plutôt que de se contenter du bon vieux pifomètre et des mécanismes très classiques de la perte de volonté, des jets de chance, etc.
Pour ma part, ces deux choix ne me conviennent pas vraiment... L’omniprésence des jetons contredit la simplicité du système à pourcentage, le ton particulier d’action gothique cool s’estompe au profit d’un style plus dârk, déjà vu dans d’autres jeux. En ajoutant mes réserves sur la forme et le contenu, la note de 2 / 5 reflète ma déception personnelle, pas forcément la qualité intrinsèque du jeu : un très gros “bof”. C’est un peu chiant, ça ne correspond pas à ma façon de jouer, ce n’est plus le Chill que j’aimais...
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chaviro
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Re: Critiques

Message par chaviro »

Soner Du a écrit :Pour conclure, ce nouveau Chill prend le contre-pied de ses prédécesseurs principalement sur deux points : […]sérieux et malsain au lieu d’être léger et ironique […]
Pour ma part, ces deux choix ne me conviennent pas vraiment... L’omniprésence des jetons contredit la simplicité du système à pourcentage, le ton particulier d’action gothique cool s’estompe au profit d’un style plus dârk, déjà vu dans d’autres jeux. En ajoutant mes réserves sur la forme et le contenu, la note de 2 / 5 reflète ma déception personnelle, pas forcément la qualité intrinsèque du jeu : un très gros “bof”. C’est un peu chiant, ça ne correspond pas à ma façon de jouer, ce n’est plus le Chill que j’aimais...
:bravo: Merci pour cette excellente critique que je partage pleinement. De toutes façons, un jeu nommé « Frisson » (au lieu de « Vomi » ou « Entrailles ») n'est pas fait pour émuler le torture porn du XXIe siècle :neutral:
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Soner Du
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Re: Critiques

Message par Soner Du »

Hé ouais, pas facile de trouver un bon ton pour un JdR, de s'y tenir et de fournir les outils pour...

Tiens, justement, poursuivons avec un autre jeu à couverture violette.
Je viens de poster une critique sur Majus
(bientôt en ligne sur le GRoG)

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Sorti à-peu-près en même temps que le très réussi Cryptworld, et avec d’autres points communs, Majus est cependant bien moins réussi. Et pourtant c'était prometteur : au clavier l’expérimenté Michael Curtis (Dungeon Alphabet, Realms of Crawling Chaos, Stonehell Dungeon, etc.), comme moteur le système éprouvé Pacesetter, et un pitch assez alléchant avec de la magie moderne, de la conspiration et pas mal de créatures surnaturelles, dans un style “à l’ancienne” : succinct, polyvalent et pratique.

Côté magie, je m’attendais à quelque chose d’assez exhaustif, qu’il s’agisse de classiques listes de sorts ou d’un système de disciplines magiques, façon Mage ou Feng Shui. C’est ce dernier choix qui a été fait, mais ces différents “Adits” sont loin d’être équilibrés: à côté de pouvoirs assez polyvalents comme Hexing et Blessing, ou puissants comme Sending (Voyage Astral) ou Summoning, on a des pouvoirs ultra-spécialisés comme Animagic ou Weather Control, ou limités comme Glamour qui est juste une capacité de dissimulation. Et justement il y a des manques dans ces capacités magiques : rien sur l’illusion ou la manipulation mentale, par exemple… Pas mal de pouvoirs psychiques mineurs de la liste des Talents Paranormaux permettent de faires de choses impossibles par la magie des Adits, telle justement la télépathie, mais est-ce fait exprès et pourquoi ? Mystère...

Le bestiaire reprend une partie de celui de Cryptworld, parfois avec des compléments d’information, rajoute des démons et divinités puissantes “en kit”, présente des versions alternatives de créatures tels les loup-garous et hommes-poissons, et complète avec quelques autres créatures originales comme des elfes flippants ou des ogres immortels. Plusieurs Tours (sociétés magiques) sont proposés, assez stéréotypées mais ce n’est pas forcément un problème. Un petit catalogue d’objets magiques complète le tout. Le contexte est assez flou, on en connaît pas exactement le but ultime de ces Maji, mais plusieurs pistes sont proposées pour se faire sa propre idée. L’origine des Maji est à Sumer, pourquoi pas, ça change de Rome ou de l’Egypte !

Les illustrations sont globalement réussies, faites par l’excellent Mark Allen. Le texte est agréable à lire, même dans les règles standard Pacesetter où se retrouvent de légères modifications axés sur le monde de la conspiration magique, par exemple dans le chapitre sur les relations avec les PNJ. Le jeu se déroule à notre époque, mais les illustrations font plutôt penser à l’entre-deux-guerres ; le texte nous explique que les Maji aiment bien avoir quelques décennies de retard dans leur habillement, mais ça donne plutôt l’impression que l’auteur a hésité entre les deux époques…

En bref, une lecture pas totalement inintéressante, mais Majus n’est pas complètement à la hauteur des attentes, avec son système de magie un peu lacunaire, son contexte assez flou et standard, son côté “pulp” trop artificiel… Je ne vois pas spécialement de raison de le préférer à Mage ou à Bloodshadows (très bon contexte magie + pulp + monstres), et comme complément à Cryptworld, notamment de bestiaire, c’est éventuellement utile mais il y a des redondances. Bref, Majus c’est très moyen : donc 3/5.
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Steve J
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Re: Critiques

Message par Steve J »

INS/MV : Génération Perdue
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Vous me permettrez de commencer ma critique par un petit flashback datant du début de la quatrième édition.
Nous sommes en 2003, quelques mois après le livre de base, Siroz sortait le premier volet de Fire&Ice, une campagne démoniaque qui s'ouvrait par un scénario nommé Le photocopillage tue le livre qui amenait les PJs à assurer la promotion d'un roman zoophile que l'on devinait franchement nul (le scénario s'ouvrait sur un extrait d'une page dont je me souviens encore aujourd'hui, sans doute plus de 10 ans après l'avoir relu, tant elle était drôle). Le scénario était formidable et allait m'inspirer des dizaines de parties reposant sur une structure similaire (des PJs devant improviser et se montrer inventifs pour accomplir une tache promouvant le mal parmi les humains, en se méfiant des forces angéliques).

Retour dans le présent, nous sommes en 2015 et -comme on peut le lire dans ses interviews- Croc revient aux affaires pour aider un ami à monter sa boite d'édition, Raise Dead. C'est beau comme un épisode de télé réalité et cela intéresse les rôlistes parce que les mecs de Raise Dead sont des joueurs totaux, manifestement fans des précédentes éditions.
Ils prennent une décision radicale en forme d'hommage à leur prédécesseurs : rejouer dans une version Grandeur Nature le scénario précité. Ils n'ont pas d'ouvrage zoophile à promouvoir mais ils auront quelques idées ludiques que Croc a nonchalamment jetées sur le papier, cela fera l'affaire, ils n'ont pas de pouvoirs surnaturels mais les nouvelles possibilités de ventes liées au foulancement rendront leur mission presque trop facile.

L'objet
En bout de chaine le client se retrouve avec un bouquin de 144 pages vendu aussi cher que la quatrième édition qui était pourtant deux fois plus volumineuse. On pourra, au choix, se féliciter de voir que la concision paye ou faire taire les rageux en invoquant l'inflation, mot magique justifiant de vendre n'importe quoi à n'importe quel prix.
On est frappé par la couverture qui présente un monstre bien cracra et gore. L'image est plutôt réussie mais assez peu dans l'esprit déconne qui prévalait dans les éditions précédentes. On peut ici emmètre deux hypothèses :
1) Il y a une volonté de faire basculer la gamme dans une ambiance plus poisseuse et sérieuse
2) Il y a eu inversion des images avec une autre gamme. Raise Dead ayant récemment annoncé Monster of the Week il est possible que ce dernier sorte avec une couverture présentant un démon de Kobal en train de faire l'hélicoptère sur la table d'un diner des anciens élèves.

Notons que la direction artistique fouillis du reste de l'ouvrage ne permet pas de trancher. Elle mélange des dessins de style très variés qui n'ont qu'un point commun : aucun n'est très beau.
La maquette est le résultat d'une tentative de résoudre la quadrature du cercle : faire un bouquin de 144 pages A4 avec un texte suffisamment anémique pour tenir dans 80 pages A5. Le résultat est attendu : c'est vide. On a peur de quitter trop longtemps l'objet des yeux de peur qu'il ne s'évapore par manque de matière.

L'univers de jeu
On le sait les mécaniques d'INS/MV ont toujours été au mieux passables, parfois nullissimes. Cela n'en fait pas moins un jeu rempli d'enjeux ludiques forts grâce à son univers offrant plein d'opportunités aux joueurs via ses éléments politiques et les codes des administrations angéliques et démoniaques.
Ici tout a disparu et l'état de l'univers de jeu est décrit en une page (dont une moitié du texte est consacrée à des blagues sur le caractère succin de la description de l'univers).

Le travail rédactionnel
Le bouquin est donc rempli de bla bla et de blagues où l'auteur s'adresse à son lectorat. C'est surtout drôle si vous n'avez pas acheté le livre ou si vous êtes atteint du syndrome de Stockolm suite à la souscription. On notera quand même que 32 pages sont consacrées à des prétirés au cas où vos joueurs seraient tellement sentorettes qu'ils n'auraient pas d'idées pour créer un personnage (dans ce cas là c'est super, ils vont adorer le scénario que je décris plus bas).
On retrouve des idées d'écritures issues de la fin des années 90, notamment celle -lumineuse- de consacrer un paragraphe pour décrire les actions les plus courantes et comment les gérer. Le saviez-vous : pour casser un objet vous pouvez faire faire un jet de force !!!! Les règles ne sont pas toujours expliquées de façon linéaire, par exemple au milieu de son énumération d'actions Croc se souvient qu'il faut nous dire qu'il n'y a pas de tests en opposition.



Les mécaniques de jeu
Je n'en parlerai pas si ce n'est pour les trouver parfaitement fonctionnelles et inintéressantes.
Vous allez me dire que ce n'est pas très sérieux mais, vu qu'on peut vendre 40 euros un bouquin comme Génération Perdue, il me semble légitime de produire des critiques incomplètes mais gratuites.

Le scénario
Le livre de base de la quatrième édition d'INS/MV proposait un scénario se déroulant dans un séminaire d'entreprise (certes démoniaque) proposant un cycle de conférences PPT. Les joueurs l'ayant joué (j'en fais partie) le savent : c'est une mauvaise idée de pitch.
Les auteurs de Génération Perdue ne l'ont sans doute pas joué parce qu'ils nous proposent un scénario qui se déroule pendant un cycle de conférences (qui sera interrompu en fin de scénario par une tentative de vol d'un objet que les PJs n'ont pas de raisons valables de vouloir protéger). Ça a l'air foufou.

Note : 111/5 si vous êtes un démon, 666/5 si vous êtes un ange, 1/5 si vous êtes sur le grog.
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Antharius
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Re: Critiques

Message par Antharius »

Et sur ces 144 pages faut enlever les illustrations pleine page, les nouvelles (sympa sans plus): env 44 pages...

J'ai essayé de faire jouer le scénario: c'est un jolie train fantôme et à la fin les joueurs ont bien dormi...
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Steve J
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Re: Critiques

Message par Steve J »

Hexagon Universe
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Écrit par Laurent Devernay et Romain d'Huissier, il me semble qu'Hexagon Universe ambitionne à la fois de proposer un JDR super-héroïque et de jouer un rôle de documentation et de transmission des œuvres de l'Hexagon Universe. Du coup je veux me permettre de scinder bien brutalement ma critique entre l'univers et les mécaniques de jeu, ces dernières me semblant de toutes façons proposer une mécanique relativement générique pour faire jouer dans des univers de SH il ne me semble pas absurde de les séparer.

L'univers
Le jeu s'inscrivant dans un univers fictionnel vaste et développé dans plusieurs œuvres, il me semble difficile d'en parler sans entrer dans des discussions générales. Qu'à cela ne tienne, il y a beaucoup de choses à en dire et je vais me permettre d'évacuer en quelques lignes la question du travail de rédaction des deux auteurs.
L'univers est manifestement présenté avec passion -ce qui rend le jeu agréable à lire- et avec clarté. L'optique est ici de faire une présentation englobant la totalité de cet univers et non pas de se focaliser sur un cadre limité (comme pouvait, par exemple, le supplément Freedom City pour Mutants and Masterminds qui s'attardait à présenter une ville). Cela en laisse sans doute pour les suppléments (la gamme est déjà conséquentes) mais cela n'empêchera clairement pas les MJs de se lancer, l'univers s'inscrivant dans une vision et des codes super-héroïques très classiques.
Seul petit bémol : un court chapitre de présentation de la philosophie de l'univers me semble chercher à résoudre la quadrature du cercle en résumant la direction prise par un univers partagé qu'on devine partir dans plusieurs directions opposées. L'univers serait silver age, non-manichéen (et intégrerait des problématiques de société) mais présenterait des méchants vraiment méchants dont on ne se préoccupe pas des motivations. Plus généralement on peine à comprendre le niveau de dureté et de complexité de cet univers (qui présente quand même des héroïnes violées et des héros qui n'hésitent pas à tuer ainsi que des personnages qui auraient leur place dans les excellentes séries animées pour enfant de DC).

Mais si je suis convaincu par le texte, je le suis moins par cet univers franco-français.
Plus précisément j'ai du mal à y voir la vraie création d'un univers (et plus généralement d'une culture-geek) français et le tout m'évoque plus un pastiche des comics venus des États-Unis. Sans être entièrement convaincu par l'idée, défendue par certains, que les univers de DC et Marvel recréeraient une nouvelle mythologie américaine, je reconnais que ces deux univers intègrent des problématiques purement américaines et nous parlent de la société dans laquelle vivent leurs auteurs.
Hexagon Universe copie-colle et les thématiques sans même les transposer dans un cadre français : le CLASH, l'organisation privilégiée pour les PJs, dépend de l'ONU et s'avère purement transnationale. Détail qui tient du quasi-lapsus révélateur : le jeu conseille aux joueurs d'aller chercher "au-delà des États-Unis" (et non de la France, voire de l'Europe) pour créer leurs PJs.
Le copié-collé s'applique aussi à l'esthétique. Là où le Western spaghetti italien reprenait les thèmes mais retravaillait la forme du cinéma américain, ce super-héroïque baguette est parfaitement indistinguable de ses modèles (on pourrait noter une insistance presque parodique sur les bodies moulants des héroïnes qui trahit peut-être un esprit franchouillard).

Si j'y vois d'abord une occasion manquée (le travail de Serge Lehman sur la Brigade Chimérique et sur le Nyctalope me semblant être un exemple d'occasion réussi), on peut cependant y voir une facilité. A l'instar du Freedom Universe de Mutants and Masterminds qui offre un univers à la manière du DCverse sans poser de problèmes de jouabilité (réutilisation de super-héros "préexistants", différence de culture entre les joueurs,...) on peut prendre l'Hexagon Universe comme un pastiche parfaitement jouable du Marvel Universe.
Je suis d'autant plus déçu que j'avais découvert l'Hexagon Universe via le court supplément publié par Romain dans le Di6dent#10 et qui se consacrait aux Partisants, des super-résistants qui œuvraient dans l'Europe occupée par le troisième Reich. Ce court cadre de jeu me semble à la fois plus inspirant et plus intéressant en tant qu’œuvre de super-héros française, je conseille vivement d'y jeter un œil.


Les mécaniques
Je vais faire dans la tarte à la crème critique mais, en général, quand on s'intéresse à un système de jeu super-héroïque on se rue sur la section pouvoir. Le système de création de ces derniers a l'ambition -partiellement réussie- d'être freeform et la bonne idée de se focaliser sur les effets et non les causes.
En clair un pouvoir d'attaque à distance coutera le même nombre de points de création qu'il s'agisse d'une boule de fée ou d'un blast télékinétique. Cela laisse tout loisir aux joueurs de faire varier l'esthétique de leurs pouvoirs sans déséquilibrer la création des personnages.
Le coût de ces pouvoirs part de la règle Un Pouvoir=Un Effet et son coût dépend d'une échelle des usages (1=capacité mineure, 5=capacité cosmique) et peut varier si le joueur décide d'appliquer des modificateurs (par exemple lier le pouvoir à un artefact, qui peut-être perdu, permet d'économiser un point de création). Dans l'effet l'échelle des usages est un peu floue mais le jeu propose une liste d'effets détaillés. Au final je me vois plus facilement restreindre les pouvoirs à cette liste d'effets et à utiliser les règles pour la customiser, c'est moins freeform mais nécessite moins de discussions à rallonge avec le MJ en début de partie.

Pour le reste de la création de perso et la résolution des actions simples le jeu ne propose pas vraiment de grandes caractéristiques mais repose sur une liste d'une trentaine de compétences/talents ce que je trouve un peu superflu (d'autant qu'on peut ajouter des spécialités aux talents). Ce n'est pas non plus très gênant à l'usage.

Là où le système est plus intéressant c'est quand il entre dans la gestion des scènes d'action (et des combats).
J'ai tendance à distinguer deux écoles (notamment dans les jeux de super-héros) :
1) Les jeux qui demandent aux joueurs d'être ingénieux par rapport à la fiction racontée. C'est l'approche OSR où on attend surtout des joueurs qu'ils réagissent par rapport à la conversation entre eux et le MJ, l'idée étant à parvenir à le convaincre qu'ils méritent des bonus/que les effets de leurs actions seront positifs.
2) Les jeux qui demandent aux joueurs d'être ingénieux par rapport aux mécaniques de jeu. Les attentes s'approchent ici de celles des jeux de sociétés, on doit gérer l'attrition, les capacités spéciales. La fiction nait de l'usage des mécaniques (par exemple dans Fate et dans Marvel Heroic Roleplaying on va créer des interactions avec le décors parce qu'on utilise les techniques d'activation).

Ma mécanique super-héroïque préférée reste celle de Worlds in Peril qui, en recourant aux Moves à la Apocalypse World (en fait à la Dungeon World) mélange et articule ces deux approches. Mais j'apprécie beaucoup la tactique qui nait d'une mécanique carrée et ludiquement intéressante. Comme Marvel Heroic Roleplaying, Hexagon Universe est clairement dans cette approche et le fait très bien.
Il propose notamment une mécanique d'initiative intelligente (après le jeu de Marvel j'ai presque envie de dire que, maintenant c'est peut-être le système d'initiave que j'ai envie de lire en premier dans les jeux de SH), nécessitant de réfléchir collectivement et offrant des arbitrages simples mais nombreux (par exemple sacrifier des points d'action pour interrompre une attaque). C'est élégant, cohérent avec le genre (cela force à utiliser ses pouvoirs, à jouer collectif) et intellectuellement stimulant (sans prendre des plombes autour de la table). Bref c'est un gros oui pour ma part (alors que ce n'était pas gagné, j'aime beaucoup Marvel Heroic RPG et je doutais fort d'avoir besoin d'un deuxième jeu qui empiète sur ses plates bandes).

Je termine par un petit regret sur les mécaniques d'attrition liées aux points d'Audace (et qui sont notamment nécessaires pour utiliser les éléments de décors).
J'ai souvent du mal avec l'attrition dans le JDR qui devrait, à mon sens, se limiter à des éléments tangibles dans la fiction (le nombre de torches, les PVs...) : lier des possibilités de jeu à des jauges qui diminuent c'est en désinciter l'usage. C'est ici le cas avec les éléments de décors et cela me parait être une très mauvaise idée.
On pourrait faire un parallèle avec les Fate Points (ou les Plots Points marveliens) mais ces derniers se gagnent très facilement (ce qui créé des cycles vertueux : on les dépensent pour en regagner). Rien de tel avec les Points d'Audace d'Hexagon (on les regagne en fin de partie ou si on impressionne le MJ...mais le jeu insiste sur le fait qu'on doit en limiter l’octroi à 1 à 3 points par session de jeu) et c'est bien dommage.

Conclusion
Très positive malgré une déception vis à vis de l'univers qui dépasse son usage dans le jeu. Cela ne m'empêchera pas de l'utiliser comme un système plus générique (par exemple pour revenir dans l'univers de Freedom City) ou dans le cadre spécifique (mais à mon avis plus stimulant que toutes les autres possibilités de jeu de l'Hexagonverse) des Partisants.
Le système de scènes d'actions, qui est sans doute ce qui m'intéresse au final le plus dans ce type de jeu, est élégant et propose de beaux arbitrages tactiques aux joueurs. Couplé à un système simple de création de pouvoirs il offre un socle solide mais fun au genre, il a l'audace de venir concurrencer un jeu excellentissime, Marvel Heroic Roleplaying, et il parvient à affronter avec brio la comparaison.

Note : 4/5
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Romain d'Huissier
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Re: Critiques

Message par Romain d'Huissier »

Merci pour cette critique détaillée et globalement positive. :)

L'univers Hexagon est volontairement dans la droit lignée des univers Marvel ou DC et son but n'a jamais été de recentrer sur la France l'Europe. C'est donc un choix parfaitement assumé et qui découle de la volonté des auteurs originaux des années 60 / 70 - qui avaient pour consigne de faire "à la façon de". :)
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Steve J
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Re: Critiques

Message par Steve J »

Worlds in Peril
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Worlds in Peril est un jeu de super-héros qui se présente comme un hack d'Apocalypse World (ou plutôt comme un hack de Dungeon World, jeu qui est lui-même même un hack d'Apocalypse World, les histoires de famille c'est compliqué). On va s'épargner le suspens, vous avez tous commencé à lire la note avant de regarder le texte et vous savez que j'ai adoré Worlds in Peril (dont je parle d'ailleurs régulièrement ici).
Le jeu est peut-être l'une des utilisations les plus convaincantes de l'Apocalypse System et il a manifestement été écrit par des auteurs à la fois passionnés et capables de produire une analyse passionnante du genre super-héroïque.

La transmission d'un cadre de jeu

Le jeu fait le choix de ne pas décrire un cadre de jeu précis. S'il suggère de jouer dans la ville de New York, le jeu cherche d'abord à émuler via ses mécaniques (de narration, de résolution, de création de perso mais aussi de création collective d'un cadre de jeu) un genre, celui des histoires de super-héros urbains.
L'ambiance se dessine ainsi aux travers des playbooks (divisés entre les origines et les motivations) que l'on doit choisir au moment de la création des PJs, des différentes capacités de ce dernier et des agendas : les objectifs associés au meneur de jeu (ici nommé EIC pour Editor-in-Chief) qui sont autant de guides et de conseils lui permettant d'émuler les codes du genre. Autre point remarquable : les Moves, qui sont les événements qui donnent lieu à l'usage des mécaniques de résolutions, permettent de mettre l'accent (ou au contraire de faire des ellipses) ou d'emmener dans des directions bien précises certaines actions. Ainsi le Move "Récupérer des informations" permet de passer très rapidement (en un jet de dés) sur les phases d'enquêtes (qui ne sont pas forcément ce que l'on recherche dans ce type de jeu) alors que celui "S'intégrer" permet de rendre la difficulté qu'il y a à mener de front le quotidien et sa vie de super-héros (être un super héros fait systématiquement courir une menace pour ses proches, susceptibles d'être kidnappés ou attaqués plus régulièrement).
Cette façon de mêler la présentation d'un cadre de jeu avec ses mécaniques est une des grandes forces de l'Apocalypse System, elle facilite la transmission d'un grand nombre d'informations (à la fois au lecteur du livre et à ses joueurs). Elle forcera par contre le lecteur souhaitant jouer en français à passer pas mal de temps à traduire des aides de jeu...On peut aussi regretter le faible nombre d'exemples de PNJs (ou de PJs) présentés dans ce livre de base (qui ne dispose pas d'une gamme de suppléments), il s'agit souvent d'une force des bouquins d'univers des JDR de SHs mais pas de Worlds in Peril (qui fait -en contrepartie- le choix d'être un petit ouvrage, peu onéreux mais richement et magnifiquement illustré).

La gestion des scènes d'action

Un autre point sur lequel le jeu brille, et fait briller les principes de l'Apocalypse System, c'est dans la gestion de ses scènes d'actions en mariant deux philosophies de game-design en apparence opposées :
1) L'approche "fictionnelle" des scènes d'action. Je pense ici aux jeux dont les mécaniques sont en apparence simples mais où la complexité des scènes d'action réside dans les interactions avec la fiction. Les joueurs doivent être attentifs aux descriptions "qualitatives" du meneur de jeu, le questionner sur leur environnement, leurs ennemis et utiliser les détails ainsi introduits dans la fiction pour proposer des actions inventives avantageant leurs personnages. C'est typiquement l'approche de la première édition de D&D (qui ne contenait pas -par exemple- de compétence de désamorçage de piège et attendait du joueur qu'il les désarme par ses descriptions), approche que l'on retrouve dans la plupart des jeux aux mécaniques se voulant simples mais permettant en fait une plus grande diversité d'actions.
2) L'approche "technique" des scènes d'actions. Celle des jeux où il importe de maîtriser les aspects techniques/quantitatifs des systèmes de jeu ("Quelle capacité utiliser pour quels effets ? En dépendant quelle ressource ?"). Ce sont les décisions tactiques qui vont créer de la fiction (exemple : l'usage d'une boule de feu va amener à en décrire ses effets).
Cette approche, qui est notamment celle de la quatrième édition de Donjons et Dragons (mais aussi de Marvel Heroic Roleplaying et d'Hexagon Universe pour rester dans le genre super héroïque), procure un plaisir tactique proche de celui éprouvé en jouant à certains jeux de société.

Ici le jeu se situe entre les deux approches.
Les actions possibles sont regroupées en un ensemble de Moves génériques qui structurent les actions. Ainsi la plupart des actions dangereuses mais non offensives sont regroupées sous le Move "Défier le danger" et se gèrent mécaniquement de la même façon. De même la façon de chercher à blesser un ennemi n'a que peu d'influence sur la mécanique de résolution utilisée (la caractéristique utilisée peu cependant changer).
Le côté générique de ces Moves permet aussi de gérer la question de l'échelle des pouvoirs : faire des dégâts à main nues se gérera avec le même Move que si on décide de faire du tennis avec une météorite pour blesser son ennemi. Réunis, ces quelques Moves offrent des choix tactiques intéressants et nécessitent des arbitrages "mécaniques" (dépense de points, sacrifice/ou non d'une partie de son état de santé pour dévier une attaque,etc, etc).

Cependant ces Moves nécessitent d'être déclenchés en décrivant des actions pertinentes. Ainsi pour blesser un ennemi il ne suffit pas d'activer le Move "Abattre une opposition", il faut aussi décrire une action suffisamment ingénieuse pour y parvenir.
Par exemple le MJ pourra confronter les PJs à un géant de flammes insensible aux attaques physiques. Il faudra alors que les joueurs réfléchissent rapidement à une stratégie pertinente (des Moves permettent d'obtenir des informations sur les ennemis).
Il pourront par exemple décrire l'utilisation du pouvoir de tornade de l'un d'eux pour déclencher le Move "Abattre une opposition", sélectionner l'effet "Changer le lieu de l'affrontement" en envoyant leur ennemi voler en direction du barrage hydro-électrique de la ville, puis fissurer le barrage pour déclencher le Move "Utiliser son environnement" dans le but de lui faire perdre son armure de flamme.
Le meneur et les joueurs sont invités à considérer les affrontements comme des puzzles tactiques, cela permet cette approche hybride pour laquelle l'Apocalypse System est très adapté.

Conclusion

Les jeux de super-héros ont toujours fait preuve d'une grande inventivité ludique (rien qu'un jeu comme l'adaptation de 1998 de Marvel par TSR proposait son lot d'innovations).
Créer un jeu sur cette thématique présente un grand nombre de défis de game-design lié à la versatilité des actions possibles (forcement au vu des pouvoirs), à la nécessité de gérer les différences d'échelles des pouvoirs et d'émuler les codes narratifs très marqués du genre.
Le pari est plus que relevé avec Worlds in Peril qui propose à la fois un des bouquins distillant le mieux l'information nécessaire à la partie et une mécanique hybride qui va chercher le meilleur dans des philosophies de jeu qu'on aurait pu croire orthogonales. La barre est maintenant placée très haute pour ceux qui voudront s'aventurer sur son terrain.

Note : 5/5
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Czevak
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Re: Critiques

Message par Czevak »

j'avais essayé de suivre le jeu lors de son développement et à l'époque j'avais été largué par les discussions entre Ryan M. Danks (qui connait bien les jeux de super héros pourtant) et Kyle Simons (le créateur de Worlds in Peril)
https://plus.google.com/+RyanMDanks/posts/F2akbPxo29a
https://plus.google.com/+RyanMDanks/posts/hAC1TP8E3kc
Steve J, as-tu un avis là-dessus STP ?
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Nébal
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Re: Critiques

Message par Nébal »

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Lu Fondcombe, supplément pour L'Anneau Unique, qui étend le cadre de jeu à l'ouest des Monts Brumeux.

Un bon supplément, mais à manier avec précaution.
Spoiler:
[...]

Dernier supplément paru en français pour L'Anneau Unique, Fondcombe (Rivendell, donc) – qui ne traite pas seulement de la demeure cachée d’Elrond le Demi-Elfe, bien sûr, mais globalement de l’Eriador oriental : nous avons franchi les Monts Brumeux qui marquaient la frontière occidentale de la gamme jusqu’alors, et envisageons désormais le pays qui s’étend à l’ouest jusqu’à Bree (cette ville et ses environs immédiats ne sont toutefois pas décrits ici, mais réservés pour un autre supplément…), avec pour limites, au nord les Monts d’Angmar, et au sud les ruines de Tharbad.

À l’origine, on avait parlé d’une gamme de L’Anneau Unique constituée de trois sous-gammes, couvrant les décennies séparant Le Hobbit du Seigneur des Anneaux – d’où cette focalisation, jusqu’alors, sur les Terres Sauvages à l’est des Mont Brumeux, avec la Forêt Noire en son centre, et le sous-titre Aventures dans les Terres Sauvages. Il semblerait donc que cette (mauvaise) idée a été abandonnée (ouf) : Fondcombe étend l’aire de jeu, sans appeler au développement d’une sous-gamme spécifique – même si la région a ses particularités en matière de règles autant que d’ambiance, avec une adversité peut-être encore plus forte qu’à l’est des Monts Brumeux, et des « Cultures héroïques » adaptées en conséquence. J’ai cru comprendre que, depuis, la gamme s’était également tournée vers le Rohan ? Mais, pour s’en tenir à cette extension à l’Eriador oriental, sans doute faut-il préciser que Fondcombe constitue la première moitié d’un diptyque : il fournit un cadre pour le recueil de scénarios Ruins of the North, dont la traduction, sous le nom Les Vestiges du Nord, est annoncée pour la fin de l’année ; de même que, dans la gamme initiale, les Contes et Légendes des Terres Sauvages et le Guide des Terres Sauvages se répondaient (encore que pas tout à fait, pour être parfaitement exact : le Guide, sorti après les Contes et Légendes, servait peut-être davantage de contexte à la campagne – ou au squelette de campagne – Ténèbres sur la Forêt Noire, paru ensuite, et dont les Contes et Légendes pouvaient constituer un prologue).

Or il faut bien prendre en compte un aspect fondamental de la région ici dépeinte : elle est en fait bien plus « sauvage », incomparablement plus, que les Terres (pourtant dites) Sauvages à l’est des Monts Brumeux ; en effet, si la Forêt Noire au cœur de la région jusqu’ici dépeinte n’était certes guère propice à l’établissement des « Peuples Libres du Nord », l’Ombre y planant de nouveau et les araignées rôdant entre les arbres, on trouvait cependant çà et là des foyers de « civilisation » (certes, le terme est parfois un peu fort…) de part et d’autre – dans la vallée de l’Anduin à l’ouest et, pour ce qui est de l’est, au moins aux environs du Mont Solitaire, avec Dale et la Ville du Lac en redescendant vers le sud, non loin du Palais de Thranduil à la lisière orientale de la Forêt Noire. La situation est tout autre dans l’Eriador oriental ; c’est bien simple : entre Bree à l’ouest et Fondcombe à l’est, il n’y a peu ou prou… rien. Aucun centre urbain de quelque taille que ce soit ; on évoque bien des fermes, voire des hameaux à l’occasion, mais, pour l’essentiel, nous sommes dans un désert ; et si les Rôdeurs du Nord, héritiers des Dúnedain, l’arpentent sans cesse, et éventuellement de même pour certains Hauts Elfes de Fondcombe, plus rares encore sans doute, le fait est que la région est on ne peut plus sauvage et dangereuse, tout sauf propice à l’établissement des hommes – ou du moins de ceux d’entre eux qui ne succombent pas à l’appel du Mordor… Mais même ces derniers ne peuvent véritablement être rattachés à des centres urbains de quelque importance que ce soit. La carte de la région – très détaillée et bien faite pour préparer les voyages si cruciaux dans le jeu – est éloquente à cet égard, qui comprend plusieurs régions, et vastes encore, simplement appelées « terres désertes » (et dont on ne saura rien de plus) ; or les régions nommées et décrites dans le supplément ne sont guère plus peuplées… Si l’ensemble de la région n’est pas qualifié de « sauvage », à l’encontre de ce qui se produit à l’est des Monts Brumeux, c’est sans doute parce que cette zone géographique n’a pas toujours été ainsi : elle a abrité des civilisations importantes, les elfes d’Eregion s’alliant aux héritiers de Númenor ayant fondé le royaume d’Arnor, bien vite cependant scindé en trois royaumes concurrents. Les ruines sont nombreuses dans le Nord… à condition de pouvoir les repérer, tant nombre d’entre elles, sous le poids des ans et des assauts des orques et autres troupes du Roi-Sorcier d’Angmar, ont été peu ou prou réduites à néant. Et la défaite, au bout du compte, du chef des Nazgûl n’y a en fait rien changé : l’Eriador oriental n’est plus que le reflet désert et déprimant d’une vaine gloire depuis longtemps oubliée… Et, aux araignées géantes de la Forêt Noire, qui formaient une part essentielle du bestiaire de la gamme antérieure pour compléter les inévitables orques, répondent ici les trolls, qui ont fait des régions les plus orientales de l’Eriador leur terrain de chasse, tandis que les morts-vivants, d’une espèce ou d’une autre, y abondent plus que partout ailleurs, des sinistres Hauts des Galgals aux inquiétants reliquats de l’Angmar…

C’est là la force et la faiblesse de ce cadre de jeu : il est superbement rendu dans ce supplément, qui met bien en valeur l’ambiance très particulière de cette région maudite ; mais c’est aussi un cadre très rude, plus sauvage encore que les Terres Sauvages, donc, qu’il peut être délicat de mettre en scène, et l’adversité déjà conséquente de ce premier cadre de jeu est sans doute largement surpassée ici…

D’où cette idée un peu saugrenue à première vue, quand bien même logique à sa manière, concernant les nouvelles « Cultures héroïques » proposées par le supplément (dans son dernier chapitre), et qui sont donc les Rôdeurs du Nord (humains) et les Hauts-Elfes de Fondcombe : habitués à arpenter cette région particulièrement périlleuse, ils sont dès le départ « plus puissants » que les personnages des Terres Sauvages (auxquels il faut donc ajouter, ce qui me laissait un brin perplexe, les Hobbits de la Comté) ; si, en contrepartie, leur évolution ultérieure est plus lente, il n’en demeure pas moins que ces personnages, tout juste créés, sont d’emblée plus puissants que leurs homologues issus des autres « Cultures héroïques ». Aussi est-il fortement recommandé de ne surtout pas les mélanger de la sorte, au début du moins… L’idée est plutôt de les intégrer dans un groupe d’aventuriers issus des Terres Sauvages, mais déjà suffisamment aguerris pour jeter un œil à ce qui se passe à l’ouest des Monts Brumeux. Une contrainte à prendre en compte, qui se justifie, je suppose – même si, à tout prendre, je vois plus de raisons pour que des Rôdeurs du Nord (durant leurs années d’apprentissage) ou des Hauts-Elfes de Fondcombe (en quête de connaissances à préserver) franchissent les cols vers l’est plutôt que le contraire… mais bon, on doit pouvoir adapter les groupes le cas échéant.

Mais revenons en arrière : le cadre décrit plus haut fait l’objet de deux chapitres constituant clairement le cœur du supplément. Le premier, portant sur l’histoire de l’Eriador, est remarquablement bien fait, d’une lecture passionnante et, en même temps, transmettant bien au lecteur le caractère passablement dépressif associé à la région (tout au plus émettrais-je une très mesquine et pinailleuse remarque : une chronologie aurait peut-être été utile – l’écoulement du temps, dans la gamme, ayant une importance toute particulière, en collant au plus près du canon tolkiénien, et ce supplément précis semblant couvrir une période immédiatement postérieure à celle de la gamme des Terres Sauvages ; l’agitation de Sauron en témoigne, on aura l’occasion d’y revenir).

Le second, et le plus long, est donc géographique et décrit l’Eriador oriental, zone par zone. Comme dit plus haut, il y a cependant des « Terres désertes » laissées absolument à la seule imagination du Gardien des Légendes, le cas échéant – ce que je trouve un brin regrettable, tout de même… Mais le reste est très bien fait, en donnant les informations utiles en matière de géographie générale, de faune, etc., et en décrivant aussi quelques « lieux » à visiter (ou à fuir comme la mort…) et des « rencontres » potentielles (notons cependant que les rencontres « positives » se voient attribuer de brèves caractéristiques techniques dans le chapitre même, là où les « négatives », qu’il s’agisse de PNJ génériques ou de figures personnalisées, se trouvent reléguées dans un chapitre de bestiaire consacré aux « nouveaux monstres » ; Fondcombe n’est donc pas exempt des bizarreries de plan semble-t-il inhérentes à la gamme…). Globalement, c’est une réussite.

Pour en finir avec le background, revenons brièvement sur le premier chapitre, « Imladris », et qui décrit donc la maison d’Elrond le Demi-Elfe – que l’on peut bien sûr croiser, de même qu’Arwen, etc. Le format est comparable à ce que l’on a déjà pu lire dans les précédents éléments de contexte de la gamme : on y trouve l’essentiel, et pas grand-chose de plus – et j’ai donc tendance à trouver, mais ça c’est moi, que c’est tout de même un peu trop succinct… Il s’agit sans doute de laisser une marge au MJ, mais les plans assez pointilleux de la demeure et de ses environs ne bénéficient ainsi en rien de développements liés – au boulot, Gardien des Légendes ! En fait, du coup, la partie la plus intéressante de la description de Fondcombe réside sans doute dans ses éléments techniques, avec la possibilité qu’elle devienne un Sanctuaire, qu’Elrond, ou même, éventuellement, le Conseil Blanc, devienne un Garant, et – surtout ? – les diverses entreprises (dont bon nombre de nouvelles et très spécifiques) que les PJ peuvent y accomplir durant la phase de Communauté ; un certain nombre tournent autour du savoir – ce qui s’avèrera très utile pour un chapitre ultérieur, traitant des objets « magiques ».

Il faut enfin mentionner un chapitre de bestiaire, consacré aux « nouveaux monstres », certes approprié avant tout à l’Eriador oriental – ne serait-ce que pour les très nombreux PNJ maléfiques « singularisés » qui y figurent au milieu des créatures génériques –, mais qui peut sans doute compléter un peu la faune monstrueuse des Terres Sauvages le cas échéant (le bestiaire original était assez succinct). Notons d’ailleurs qu’on y trouve des éléments d’ordre plus général, et parfaitement détachés des particularités locales – des éléments techniques, portant d’abord sur les « adversaires puissants » (on trouve même quelques gros machins intuables dans le lot – les considérations de ce genre, en jeu de rôle, m’ont toujours laissé perplexe : même à Donj’, je n’ai jamais été porté à massacrer des déités et demi-dieux…), qui se voient attribuer des traits et aptitudes spéciaux, ensuite sur les morts-vivants endémiques de la région mais dont on peut éventuellement rencontrer des spécimens au-delà.

Reste deux chapitres à commenter qui, à l’instar de ce qui vient tout juste d’être développé, ne sont pas spécifiquement liés à ce cadre de jeu, mais peuvent se montrer utiles pour toute campagne de L’Anneau Unique.

On trouve tout d’abord un chapitre consacré, disons, aux « objets magiques » (ou du moins de valeur). Cet intitulé m’effrayait pas mal : je redoutais, pour le coup, que le jeu sombre malgré tout dans la donjonnerie… En fait, ce n’est pas le cas – les auteurs ont su éviter ce travers, tout en offrant la possibilité au Gardien des Légendes de semer dans sa campagne des trésors d’un ordre à part, aux capacités éventuellement amusantes (« magiques » est parfois un bien grand mot, la pondération reste globalement de mise – mais les objets du genre que l’on trouve dans les écrits de Tolkien sont bien intégrés pour constituer des exemples cohérents), mais pouvant aussi (voire surtout ?) jouer un rôle crucial dans l’histoire ; car on y insiste : si la méthode ici décrite peut le cas échéant générer des objets magiques sur le pouce, ce n’est pas sans danger… Non, si la découverte de ces objets tiendra éventuellement du hasard (avec des règles simples sur les « jets de trésor »), le MJ doit quant à lui créer au préalable un « index » directement approprié à sa campagne : y figureront de simples « objets précieux », mais aussi des « reliques merveilleuses » (c’est-à-dire des objets « magiques » hors armes et armures) et des « armes et armures fabuleuses », personnalisés pour qu’ils puissent servir la campagne en tombant dans les mains de qui en aura l’utilité, et par ailleurs dotés d’un nom et d’une histoire – détails en apparence, qui changent pourtant tout. Trois exemples d’index en témoignent, le premier approprié au cadre des Terres Sauvages (avec les personnages prétirés de ce cadre dans L’Anneau Unique), un autre adapté à une éventuelle campagne en Eriador (Les Vestiges du Nord, donc…), et enfin un exemple sans doute plus parlant – portant sur la compagnie de Bilbo dans Le Hobbit. Mentionnons enfin qu’il se trouve des objets maudits, et que le rôle de la corruption dans l’acquisition et l’utilisation de ces merveilles s’inscrit là encore pleinement dans les concepts tolkiéniens. Une bonne surprise, c’est finalement très bien vu.

Reste enfin un chapitre sur l’Œil de Mordor : Sauron se manifeste de plus en plus (d’autant que nous sommes en principe quelques années après le début de la campagne dans les Terres Sauvages, comme défini dans le livre de base), et ce n’est pas sans incidences pour nos héros – quels qu’ils soient, d’ailleurs : ils peuvent attirer son attention, chose toujours dangereuse… D’où l’idée de tenir un compte de la Vigilance de l’Œil, fluctuante au gré des situations et incidents (dépendant par exemple du nombre de personnages de la compagnie, de leurs origines, de la région où ils se trouvent, de leur démonstration de facultés hors-normes voire « magiques »…) ; passé un certain seuil, il en résulte la Traque – qui n’est pas à prendre au pied de la lettre : bien sûr, il ne s’agit pas de faire systématiquement apparaître une bien opportune bande d’orques de passage (jusque dans les limites de Fondcombe, tsk…), mais bien plutôt, pour le MJ, de traduire d’une manière ou d’une autre une adversité plus forte – ou « pesante », ce mot me paraît très indiqué : plus que de confronter les héros à tel ou tel combat ou obstacle, l’idée sera donc d’exprimer une « mauvaise volonté » de la nature elle-même à laisser faire les choses – évocatrice d’un sombre destin, s’acharnant tout particulièrement sur la communauté. À condition de prendre bien soin d’éviter les solutions de facilité, il y a sans doute là un bel outil d’ambiance – et qui, comme toujours dans cette gamme décidément subtile, s’avère parfaitement approprié à l’univers tolkiénien. Je relève cependant que, pour ce que j’en ai lu, le système me paraissait déjà assez sévère comme ça… Je suppose donc qu’il faut prendre garde à ne pas rendre l’épreuve des PJ insurmontable avec ce genre de règle optionnelle ; mais avec des héros un peu aguerris, c’est sans doute tout à fait pertinent.

Un bon supplément, donc – mais à manier avec précautions. Il comprend un cadre aussi fascinant que rude, et des éléments techniques ou de background pouvant changer la perspective du jeu – d’où la nécessité de prendre bien garde à ce que l’on en fait… Peut-être pas indispensable, néanmoins bien vu. Il faudra sans doute, le moment venu, voir ce que Les Vestiges du Nord en fera ; je n’y manquerai pas.
Welcome to Nebalia : Crypt of Cthulhu, Vol. 1, No. 2
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Steve J
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Re: Critiques

Message par Steve J »

@Czevak
Je peux détailler mais il me semble assez normal que la discussion ne soit pas aisément compréhensible sans avoir lu le jeu. Les discussions que tu cites portent sur la gestion des pouvoirs qui est particulière mais ingénieuse.
Expliquons !

Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, les pouvoirs ne sont pas associés à un Move.
Si on se contente de regarder le système de façon abstraite (i.e. sans se préoccuper de la fiction que l'on est en train de raconter), déclencher le Move
"Abattre une opposition" aura les mêmes conséquences technique selon que l'on attaque l'ennemi à mains nues ou avec un pouvoir créant une tornade. De même "Défier le danger" fonctionne de la même façon si on décrit que l'on vole vers l'ennemi alors qu'il est en train de mitrailler dans notre direction, ou que l'on décrit comme on plonge dans les égouts pour éviter un rayon de la mort.

Sauf que, bien évidemment, avoir un pouvoir va permettre de justifier narrativement que l'on déclenche un Move.
Si je possède un pouvoir de vol je vais pouvoir déclencher le Move "Abattre une opposition" en décrivant comment je fonce vers l'hélicoptère et lui assène un coup de poing. Si je n'ai pas de pouvoir de vol il va falloir trouver autre chose (un autre Move ou une autre justification).
De même si je possède un pouvoir de lecture dans les pensées+un pouvoir de vol je vais pouvoir expliquer au MJ comment je vol autour de l'immeuble où a eu lieu le crime, en scannant les habitants par la fenêtre pour les transformer en témoins à leur insu. Cela me permettra de déclencher le Move "Récolter des infos".

Sur la feuille de perso on note un certain nombre de pouvoirs. Ces derniers sont classés par catégories qui sont en fait des indications d'à quel point il est justifiable narrativement d'intégrer un pouvoir.
Si j'ai mis Vol [simple] je n'aurai jamais de problème à utiliser de pouvoir de vol. Si j'ai mis Vol [difficile] il va falloir que j'explique comment je me concentre avant de me mettre à décoller (le MJ pourra alors trouver abusé que j'utilise un combo Vol+télépathie). Si j'ai mis Vol [borderline] il faudra vraiment une situation dramatique pour que je puisse décrire comment je vol (genre mon petit ami est en danger et, sans m'en rendre compte et sous l'effet de l'adrénaline, je parviens à utiliser mon pouvoir de vol en me ruant sur lui).
Fan des hacks d'Apocalypse World qui commencent par la lettre "W" : Worlds in Peril, World Wide Wrestling RPG
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